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South Coast Metropole (1999)
Présentation d'un réseau de villes
Auteur : Pascal Buléon

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South Coast Metropole associe quatre villes du Sud anglais, Poole, Southampton, Portsmouth, Bournemouth, et l'île de Wight. La création de cette association se comprend avant tout dans le contexte de la géopolitique du Sud anglais. La géopolitique n'est pas là celle des relations en États, mais celle des rapports du Sud avec la grande métropole londonienne et celle des relations entre villes et comtés, puis entre villes elles-mêmes. En Angleterre tout commence et tout finit, dès qu'il s'agit de développement, par la relation compliquée avec Londres. Les villes françaises le comprennent aisément, elles ont une connaissance intime de la relation difficultueuse avec leur capitale.

Les délimitations administratives, puis des divers découpages opérationnels ont fait ressortir dans l'Angleterre contemporaine un Sud-Ouest et un Sud-Est. Si le Sud-Ouest par la distance, sa structure économique, son niveau d'activité est moins sous l'emprise directe de Londres, il n'en est pas de même du Sud-Est qui vit en étroite symbiose avec Londres. Dans ce Sud-Est, on vit, on travaille, on prend des loisirs en relation directe avec Londres. S'il existe de nombreuses Travel To Work Areas (TTWA) dans le Sud-Est anglais (équivalent de nos zones d'emplois), et que certaines ont un poids et une vitalité très significatifs, – ainsi le South Hampshire regroupe 1 million d'habitants –, l'emprise de la grande agglomération reste forte. Des milliers d'habitants du Sud se rendent tous les jours à Londres pour y travailler. Si l'aire d'attraction du domicile-travail de la grande ville mondiale s'est agrandie, notamment par les facilités du transport, faisant de Manchester, et même Dublin et Paris des aires d'échanges hebdomadaires ou bi-hebdomadaires lointaines mais régulières tout au long de l'année, et même parfois journalières, elle s'est densifiée dans la distance-temps d'une heure à une heure et demie, qui est l'isochrone de délimitation d'une majeure partie du Sud.

Le Solent se trouve au milieu de ces deux Sud. Il se trouve sous l'emprise directe de Londres. Et s'il en apprécie quelques bienfaits, il cherche à ne pas trop subir la grande ombre qu'elle lui porte. A cette difficulté s'ajoutent les tensions entre histoires institutions aux histoires, aux logiques et aux intérêts parfois divergents. L'une de ces tensions les plus vives dans les trois dernières décennies est celle qui a opposé Southampton et Portsmouth. Southampton au fond du Solent était le port civil, le port Transatlantique, celui qui avait assuré le trafic avec l'Amérique du Nord et l'Europe, puis de plus en plus, quand le transatlantique passager faiblissait, le Ferry Port transmanche. Portsmouth, jusqu'alors entièrement dévolu au rôle de grand port militaire depuis plusieurs siècles, a commencé dans le début des années 1980, au fur et à mesure que la Navy laissait des emprises et réorganisait son activité, à développer des liaisons transmanche. Sur le plan commercial, le raccourcissement des relations donnait quelques avantages au Ferry Port de Portsmouth. La rivalité entre les villes en fut durablement aiguisée. Les tensions existent aussi entre comtés, l'East et le West Sussex ont des différents. Au sein d'un même comté, les intérêts divergent entre le comté, et la ville principale. Ainsi dans le Hampshire, les logiques de développement du comté ne se juxtaposent pas avec celles des villes principales de Portsmouth et Southampton. Dans une vaste région en pleine croissance générale, mais aussi, en particulier pour les villes portuaires, en pleine restructuration parfois très douloureuse économiquement et socialement, la fragmentation locale est l'expression de ces difficultés d'ajustements et des tentatives sont faites pour les dépasser. Le développement des programmes européens et l'obligation de partenariat qu'ils impliquent, le cours des diverses réformes locales, créant les Unitary Authorities, en particulier celles impliquant les unités urbaines, constituent les autres éléments du contexte qui permettent de comprendre les initiatives qui conduisent à la création de South Coast Metropole.

South Coast, c'est le Solent. Le Solent est le milieu géométrique des deux régions sud, et ce milieu est trop souvent un entre-deux sur le plan économique, politique, sur le plan de l'image aussi. C'est pour sortir de cet entre-deux, pour donner visibilité au Solent, pour atténuer les effets les plus négatifs de la concurrence entre elles et pour obtenir ensemble ce à quoi elles ne pourraient prétendre pour chacune d'elles séparément, que les villes du Solent et l'îile de Wight se sont groupées. Ces cinq entités sont très différentes. Quatre villes et une île à petite population. Quatre villes elles-mêmes différentes.

Poole et Bournemouth à l'Ouest sont d'anciennes stations balnéaires dont la littérature a diffusé l'image tout au long de ce siècle. Elles ont pour image d'accueillir le plus grand nombre de milliardaires au m² sur la côte sud. La villégiature de retraite demeure, par delà le Ferry port ou l'activité militaire de Portland, une vocation des deux stations. Elles veulent la cultiver, mais ne pas s'y cantonner.

À l'opposé, la plus à l'est du réseau, Portsmouth est encore une grande base navale en reconversion. Plusieurs politiques se sont succédées depuis 1945, s'adaptant aux évolutions économiques générales. La physionomie de la ville s'en est trouvée changée. Elle n'en demeure pas moins encore un port militaire en reconversion. Dans l'immédiat après-guerre, de la petite industrie s'est développée, la branche électrique en particulier, puis plus tard des activités tertiaires dont de gros pôles (Zurich Insurances, bureaux d'IBM), puis le Continental Ferry Port ouvrant une activité de passage vers la France. Sans que d'autres voies de développement soient écartées, l'accent est porté aujourd'hui autour du tourisme et du patrimoine, du Maritime Heritage à visée économique. On est assez loin du profil de Bournemouth ou Poole.

Southampton, la plus grosse des trois villes, le district lui-même compte 216 000 habitants, l'agglomération près de 400 000, est encore bien différente. Au fond du Solent, très à l'abri de la mer, ses activités principales ont tourné autour du pétrole et du trafic transatlantique.

Ces différences ne conduisaient pas spontanément à tisser des liens. Le contexte régional, les relations à Londres, la volonté d'exister en tant que Centre du Sud, de sortir de l'entre-deux pour devenir un pôle, le sentiment que leur poids démographique de l'ordre du million pouvait être un potentiel si leurs efforts étaient joints à amener ces villes à se rassembler.

La présence de l'île de Wight détone encore un peu plus. La petite île à quelques encablures de la côte s'était séparée du Hampshire en 1974. Elle est aujourd'hui la seule région du Sud à bénéficier de fonds FEDER. Sa population est peu nombreuse, le coût d'accès élevé : l'eau qui la sépare de Portsmouth est appelée « the most expensive water ». Elle souffre d'un chômage élevé et d'une économie très saisonnière. Comme de nombreuses collectivités, elle cherche une diversification ou de nouvelles voies : ainsi elle tente de développer un parc technologique à vocation marine.

Les tentatives d'actions communes ont commencé par les universités. Trois des villes ont une université : Southampton, Bournemouth et Portsmouth qui, sous des formes différentes au cours des années passées, avaient développé des accords. Les questions de développement, de développement du réseau routier ont amené les villes à des options convergentes, à défaut d'être communes, mais en tout état de cause en opposition aux visées des counties dont l'objet dans le Sud peut paraître étrange à un œil français puisqu'il est de freiner la croissance. Cette option du « no development » n'est pas du tout celle des villes aux prises avec les difficultés de reconversion d'activités antérieures et confrontées en permanence à un gros problème de formation et d'emploi. Face à ces situations, elles sont animées d'un désir d'ouvrir de nouvelles perspectives de développement économique.

C'est ce faisceau de faits qui a conduit les quatre villes et l'île de Wight à se regrouper. Leurs habitudes et leurs pratiques ne les y préparaient guère. Les politiques des villes étaient et sont encore très tournées sur elles-mêmes. Il fallait une forte pression rationnelle pour les conduire à une coopération qui n'est encore que balbutiante. Les premiers pas furent plus « tea and cakes » qu'opérationnels. Les projets réellement communs sont toujours peu nombreux. Une opération d'assez grande envergure, qui n'était pas dans le projet initial prend forme autour de l'innovation. Solent Innovation est un consortium créé fin 1999, il associe une partie de South Coast Metropole ; les institutions les plus tournées vers la recherche-développement. L'innovation, dans le Solent tout à la fois en reconversion et siège d'importantes activités de pointes en différents domaines, est sans nul doute une des façons de faire exister le Centre Sud, par-delà les limites administratives et les difficultés passées. La mise sur pied l'an dernier des agences de développement régionales par le gouvernement pousse à ces regroupements.

L'Angleterre est maintenant divisée en huit régions pour les actions de développement. Les Regional Development Agencies pour le Sud-Est, le SEEDA (South East England Development Agency) ont choisi l'option de ne travailler qu'à travers des ensembles de coopérations dans les counties. Ainsi le Hampshire Economic Partnership regroupe plusieurs partenaires et réseaux dont la South Coast Metropole. Cela constitue une incitation supplémentaire à développer des associations d'intérêts.

South Coast Metropole regarde vers les villes de Normandie, peu de collaborations ont été nouées. Un projet sur le tourisme concerne Le Havre, Cherbourg et la Hollande. Les pistes de travail qui pourraient de façon opérationnelle associer South Coast Metropole et Normandie Métropole pour un bénéfice mutuel n'ont pas encore été identifiées par les uns et par les autres. Elles devraient, pour aboutir, se faire sur un nombre limité de points, jouer dans des domaines où l'addition des forces apporterait quelque chose, où la concurrence entre elles serait faible et où elles pourraient dans le contexte de l'Union européenne faire valoir leurs coopérations.


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