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Valorisation du patrimoine et de la culture maritime (2015)
Auteurs : Maud Lucas, Frédérique Turbout

Les équipements culturels

On assiste depuis quelques décennies à une tentative quasi générale de redéfinition de l'identité des villes. Elles cherchent pour la plupart à se mettre en avant en tant que places détentrices d'une culture, d'un savoir-faire et d'une ouverture maritime et portuaire. Les choix effectués en matière de réaménagement des fronts de mer sont variés. Cependant les opérations les plus récentes mettent l'accent sur l'identité maritime.

 

"Peut-être parce qu'elles ont su tirer parti de l'expérience des précédentes, peut-être aussi parce qu'elles concernent des zones et une période différentes. Une période où [...] la mono-fonctionnalité caractéristique de l'espace productif fordien est débordée progressivement par des pôles qui se valorisent au contraire par la multiplicité des compétences qu'ils savent mettre en œuvre. [...] Une période enfin où apparaît une économie intensive qui fait une large part au patrimoine culturel des communautés agissantes. [...] Pour certains auteurs comme T. Baudouin et M. Collin, [...] c'est la mondialisation qui rend sa place à une dimension sociétale largement méprisée par l'ère précédente".

Planque Géraldine, Une problématique de développement local : l'évolution des relations villes-ports dans un nouveau contexte, Centre d'Economie Régionale, Université d'Aix-Marseille III, n° 216, 1998

L'identité et le passé maritimes sont exploités par de nombreuses villes portuaires françaises et européennes. La reconversion des friches se dirige souvent vers l'exploitation des héritages maritimes en développant des pôles touristiques (musées portuaires, aquariums). L'intérêt croissant des touristes pour le patrimoine maritime encourage les municipalités à créer de nouvelles fonctions porteuses de développement économique. L'exploitation économique du patrimoine est un élément clé du redéveloppement de villes portuaires comme Brest, Dunkerque, Londres, et Portsmouth.

Dunkerque

Dunkerque valorise son patrimoine entre autre par son musée portuaire et ses navires rénovés en musées flottants.

Inauguré en 1992 dans l'ancien entrepôt des tabacs, le musée portuaire a sauvé de la destruction le témoignage de la vie et du savoir-faire portuaire de Dunkerque. Une exposition permanente présente l'historique du port (la construction navale, la pêche, les services liés à l'accueil des navires, la lutte des dockers). Elle met en scène l'évolution des activités portuaires, de l'histoire des corsaires au port morutier en passant aujourd'hui à son rôle actuel de grand port industriel. Une collection de maquettes retrace les progrès de l'architecture navale et de l'évolution des techniques de propulsion : maquettes de frégate, de brick de commerce ou de guerre, de trois-mâts corsaires, de vaisseaux, d'un vapeur à roues à aubes datant de 1852 ou de navires contemporains à haute technologie comme un méthanier de 1977. Le musée prépare également des circuits de découverte vers les darses, les entrepôts et les grues du port Est, la station de remorquage, le grand phare, le dock flottant et les écluses, lieu de manœuvre des navires.

Le musée portuaire de Dunkerque a une politique de collecte et de sauvegarde. Il est un point d'observation et un pôle d'identité à ancrage local fort soutenu par les professionnels et les anciens de Dunkerque. C'est également un centre d'interprétation de la vie portuaire, un centre de ressources documentaires, facteur de rentabilisation d'un ancien quartier central.

Plusieurs navires rénovés sont réutilisés comme musée :

  • la péniche Guilde (1929) première unité ouverte à la visite, présente une exposition sur la vie des bateliers ;
  • la Duchesse Anne, ancien navire école de la marine marchande allemande ;
  • visites consacrées au balisage avec l'exposition du bateau-feu Sandettie (1947), la présentation de la vedette Esquina, ainsi qu'une bouée-phare.

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Vue générale de la flotte du musée à flot, musée portuaire de Dunkerque (Nord) – Photo orginale de Andrzej Otrębski, 2014.
Sous licence CC BY-SA 4.0 via Commons

Brest

À Brest, le nouveau rapport de la ville à la mer s'est établi grâce à la reconquête symbolique du front de mer. Océanopolis est l'équipement touristique phare de cette reconquête. La ville exploite les représentations de la mer comme espace de rêve et d'aventures.

Ce parc de découverte des océans est unique en Europe avec deux nouveaux pavillons polaire et tropical, s'ouvrant sur l'ensemble des milieux marins mondiaux. En 2014, il a reçu plus de 10 millions de visiteurs depuis sa création en 1990. Océanopolis retrace la vie des océans en partant des hypothèses sur la formation de l'univers, jusqu'à l'intervention de l'homme sur les écosystèmes marins.

 

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Vue aérienne d’Océanopolis, Brest (Finistère)
Crédit photo : Le Récif du Belon, 2014.

 

Brest a ainsi l'ambition de se doter d'un véritable parc de loisirs, des sciences de la mer, susceptible de constituer un pôle puissant d'attraction touristique.

Saint-Nazaire

Avec la création de l'écomusée, les visites de l'Espadon et les grandes entreprises telles que les Chantiers de l'Atlantique ou l'Aérospatiale, la mise en lumière des docks et de l'Escal'Atlantic, le site portuaire de Saint-Nazaire est devenu une destination touristique et culturelle. Ces différents aménagements de valorisation portuaire commencés dans les années 1980 renouent les Nazairiens avec leur port.

Les objectifs du réaménagement du secteur du centre-ville jusqu'au bassin de Saint-Pierre sont de trouver une dynamique de développement du quartier portuaire, de créer et promouvoir un environnement qui projette une image et identité forte de la ville.

L'Écomusée

L'écomusée conserve et met en valeur le patrimoine maritime de Saint-Nazaire. Il retrace l'histoire du transatlantique et l'évolution industrielle du site portuaire au travers de ses expositions permanentes et temporaires ainsi qu'avec des collections significatives sur le patrimoine culturel des paquebots et un centre de documentation ouvert au public.

 

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Ecomusée Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), Sandrinelle 2007.
Sous licence CC BY-NC-SA 2.0 via Flickr

Saint-Nazaire, ville croisière

La ville de Saint-Nazaire a développé un pôle culturel autour du thème des paquebots et des croisières. Ce pôle "Saint-Nazaire, ville croisière" se veut la mémoire des paquebots qui ont marqué les lignes transatlantiques vers les Amériques à partir de 1862, et des paquebots construits ces dernières années par les Chantiers Navals de l'Atlantique.

Depuis 1862, Saint-Nazaire a construit une centaine de paquebots : transatlantiques pour New York ou Rio, "Messagerie" d'Outre-Mer vers l'Extrême-Orient ou paquebots de loisirs. Cette histoire maritime marquée par la construction de ces grands navires est le fondement du pôle culturel l'Escal'Atlantic.

L'Escal'Atlantic est une exposition-spectacle installée dans deux alvéoles de la base sous-marine. Cet équipement touristique simule un voyage virtuel à bord d'un paquebot avec un parcours tout au long des différentes salles : la salle des machines, les cabines, un pont couvert, la salle à manger, la passerelle du commandant...

 

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Ancienne base sous-marine de Saint-Nazaire, site du musée Escal’Atlantic (Loire-Atlantique), KaTesnik 2005.

Sous licence CC BY-SA 2.0 via Commons

L'Espadon

À la base du tourisme industriel lancé par la municipalité de Saint-Nazaire, l'Espadon est le premier sous-marin démilitarisé. Construit en 1957 par les chantiers du Havre, il est à l'honneur en 1986 lors des fêtes de la Mer de Saint-Nazaire. Le sous-marin est aujourd'hui ouvert au public dans l'écluse fortifiée de la base sous-marine.

 

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Le sous-marin Espadon, mars 2014 – Crédit photo : Google Maps

 

Avec l'essor du tourisme culturel et industriel en fort développement, Saint-Nazaire trouve dans tous ces équipements touristiques l'opportunité d'apporter un complément significatif à l'ensemble des destinations touristiques en Loire-Atlantique et venir en complémentarité avec les pôles touristiques de renommée nationale, La Baule, Nantes. Ces équipements touristiques et culturels doivent permettre à la ville de confirmer le rôle déterminant que doit remplir la façade maritime dans l'équilibre bipolaire Nantes/Saint-Nazaire.

Portsmouth

L'ancrage sur le passé est particulièrement exploité par Portsmouth, le "porte-drapeau de l'Angleterre maritime".

 

"Pour de nombreux visiteurs, Portsmouth, c'est avant tous 800 ans de tradition en tant que principal arsenal de la Royal Navy. Chaque année, entourée par les bâtiments de guerre et les moyens technologiques de la Marine de Portsmouth, la Naval Heritage Area, accueille plus de visiteurs que tout autre centre d'attraction ou monument en Grande-Bretagne à part la Tour de Londres. On peut y visiter le HMS Victory, sur le pont duquel une petite plaque marque l'endroit où tomba le plus grand amiral de l'histoire, Lord Nelson, durant la bataille de Trafalgar en 1805. À côté, le Royal Naval Museum retrace l'histoire des hommes et des navires qui se sont battus pour leur pays, comme encore récemment aux îles Malouines. Dans le Mary Rose Museum, les visiteurs pourront se faire une idée de la vie à bord du vaisseau-amiral d'Henry VIII, présenté de manière vivante à travers les armes et objets personnels et divers conservés pendant 450 ans dans la vase du Solent. À côté, dans un bâtiment aménagé se trouve la coque même de la Mary Rose, remontée du fond en 1982 à l'issue d'un des plus ambitieux projets archéologiques jamais réalisés. Le long de la base navale, le HMS Warrior, premier cuirassé de la Navy et à l'époque le plus gros, le plus rapide et le plus puissant navire de guerre jamais construit, constitue un bon point final de cet aperçu de l'héritage maritime unique de Portsmouth".

Péron Françoise (sous la direction de), La maritimité aujourd'hui, L'Harmattan, 1996.

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Frégate HMS Warrior, Portsmouth (Hampshire) - Andrew Thomas, avril 2000.

Sous licence CC BY-SA 2.0 via Commons

Londres

Pour les célébrations de l'an 2000, le gouvernement britannique a décidé de réhabiliter le sud de la Tamise constitué de zones industrielles et des docklands désaffectés. Destinés à devenir des pôles culturels et touristiques, ces quartiers accueillent de nombreux monuments. L'ouverture du Globe Theatre, en 1996, reproduction exacte du célèbre théâtre de Shakespeare a commencé à revitaliser une zone jadis négligée. Depuis de nombreux projets ont vu le jour notamment le premier musée d'art contemporain du XXIe siècle, le Tate Modern, installé dans une ancienne centrale électrique rénovée. Un nouveau musée, le Museum of London Docklands, ancien entrepôt de sucre construit en 1803, consacré à l'histoire de la Tamise, du port de Londres et de son industrie a ouvert ses portes en 2003 dans la zone des anciens docks, en pleine rénovation.

 

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Musée Docklands de Londres, West India Quay – Andrewh 2008.

Source : Wikimedia Commons - domaine public

 

Autre réalisation beaucoup plus spectaculaire est l'édification en mars 2000, de la "grande roue du millénaire", le London Eye, une roue de fête foraine géante située sur la rive sud de la Tamise, en face du parlement. Haute de 135 mètres, cette attraction a attiré 60 millions de visiteurs en quinze ans (source The Telegraph).

Les grands rassemblements internationaux de voiliers traditionnels

Depuis la fin des années 1980, les rendez-vous de vieux gréements se développent de plus en plus dans tous les grands ports du monde. Ces rassemblements sont l'une des formes de valorisation des sites historiques et du patrimoine actuellement en plein essor. Attirant des milliers de personnes, les fêtes maritimes sont une nouvelle modalité de développement économique pour les villes qui accueillent de tels événements. Brest et Rouen sont ainsi de grandes étapes de ralliement de navires historiques.

Fêtes maritimes de Brest

Les grands rassemblements de voiliers traditionnels sont le reflet d'une image culturelle maritime forte. Tous les quatre ans, depuis Brest 92, la ville de Brest accueille une fête internationale de la mer et des marins. La dernière édition, les Tonnerres de Brest 2012, présentaient 1 000 bateaux traditionnels provenant des plus grandes nations maritimes du monde, et a accueilli plus de 700 000 visiteurs.

Ces événements à dimension culturelle, populaire et touristique restituent une longue tradition maritime et mesurent la lente évolution des formes et des matériaux, des coques et des gréements.

 

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Tonnerres de Brest 2012, Brest (Finistère)

Etoile Molène entrant en rade abri par la passe sud – Larvor, 15 juillet 2012.

Sous licence CC BY-SA 3.0 via Commons

 

Le premier rassemblement de ce type remonte à 1980 à Pors-Beac'h, petit port coquillier de la rade de Brest, puis vinrent Douarnenez (1986 et 1988), Brest 92 et 96 avec plus d'un million de visiteurs. Au cours de ces manifestations maritimes, plusieurs thèmes sont abordés :

  • la fête des bateaux et des équipages amateurs et professionnels, voiliers traditionnels en bois et voiliers inspirés de formes classiques, du trois mâts au canot ;
  • la fête culturelle des traditions maritimes : animation et exposition sur les quais représentent les spécificités de chaque région maritime, les différentes cultures maritimes à travers les métiers, les productions et expressions artistiques (maquettes, peintures, chants marins) ;
  • la fête portuaire et populaire (sorties en mer, fête sur le port...).

L'Armada de Rouen

Tous les quatre à six ans depuis 1989, l'Armada présente les plus grands voiliers internationaux regroupés le long des sept kilomètres de quais de la Seine et permet aux visiteurs pendant dix jours l'accès gratuit à bord de ces batiments. La troisième édition, l'Armada du Siècle 1999, a rassemblé plus de 10 millions de visiteurs. Cette grande fête maritime a accueilli des voiliers anciens, des bateaux de haute technologie d'aujourd'hui et des bateaux de guerre. Sur la cinquantaine de bateaux, étaient présents le trois-mâts russe Mir, le navire ukrainien Khersones, le polonais Dar Mlodziezy, le français Le Belem.

 

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Armada 2008, Rouen (Seine-Maritime) – Claude Villetaneuse, 9 juillet 2008.
Sous licence CC BY-SA 3.0 via Commons

 

La dernière édition de 2013, avec quelques 300 000 à 500 000 visites par jour, a notamment accueilli le deuxième plus grand voilier au monde, le 4 mats russe le Krusenstern et le deuxième plus gros navire militaire français le Monge.

 

Dans les villes portuaires, de nouvelles valeurs urbaines émergent. Culture et mémoire, loisirs, qualité environnemental de lieux de travail sont les nouveaux paramètres qui régissent ces espaces anciennement abandonnés. L'intérêt croissant pour l'histoire navale et portuaire incite les communes du littoral à redéployer la cité sur le littoral dont elle s'était écartée ou qui avait été réservé au trafic maritime. D'abord abandonnés, les anciens docks sont entrés dans le patrimoine et font l'objet de reconversions pour des usages sociaux ou culturels. Ces changements de fonctions ont radicalement changé l'aspect des villes. Ces manifestations maritimes, la valorisation du patrimoine maritime ont permis de développer un sentiment d'appartenance à un territoire, sentiment partagé par une fraction de la population auparavant. Ce sentiment a été magnifié avec le temps et actuellement il prend une nouvelle forme et plus large, englobant de nombreux repères et une population plus large.


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