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Les nouveaux enjeux de sécurité (2016)
Auteur : Frédérique Turbout

Ce 29 janvier 2016, comme à son habitude, la mer de la Manche est animée d'un incessant trafic de navires, porte-conteneurs, chimiquiers, pétroliers, vraquiers se succèdent en deux files ininterrompues, l'une descendante en provenance du détroit du pas de Calais et l'autre montante à destination des grands ports du Range Nord.

À l'orthogonal de ce convoi étonnant pour un observateur non averti, des ferries assurent les liaisons entre les deux rives de la Manche. Les pêcheurs sont moins nombreux qu'en début de matinée, ils ont regagné leur port d'attache pour la débarque. Les plaisanciers sont peu nombreux, la météo est mauvaise. Toute cette activité est surveillée, placée sous les yeux et les oreilles de professionnels qui suivent minute par minute cet intense trafic, l'un des plus importants au monde.

À 15 h 30, un vraquier sous pavillon des îles Marshall en provenance de Riga en Lettonie et faisant route vers le Brésil avec à son bord une cargaison de quelques 76 000 tonnes de charbon, le SBI Flamenco, signale un problème mécanique au CROSS Jobourg. Il est alors à environ 65 km au nord-ouest de Cherbourg dans la voie descendante du Dispositif de Séparation du Trafic des Casquets. Placé sous surveillance renforcée du CROSS, l'équipage tente de réparer en poursuivant sa route. La météo est mauvaise, l'Abeille Liberté, l'un des remorqueurs français affrétés par la Marine Nationale est en alerte météo au large de Cherbourg. Le navire demande alors assistance et l'Abeille Liberté fait route vers le vraquier au milieu de la nuit dans une mer agitée pour lui porter assistance. C'est là son quotidien, intervenir quand le danger est présent, quand les vies sont en jeu et que la mer est déchaînée. Vers 1 h du matin, les manœuvres d'arrimage pour le remorquage sont achevées, la longue route vers le port du Havre commence. Cinq jours plus tard, il sera à quai dans un bassin du port havrais pour réparation avant de reprendre la mer. Le 3 juin dernier, il faisait route vers Houston et se trouvait vers midi dans le détroit de Floride…

Tous les navires n'ont pas cette chance, nombreux sont ceux qui ont sombré dans les mers du globe et la Manche ne fait pas exception. Cependant, elle est aujourd'hui assurément l'une des mers les plus sécurisée au monde.

Avec trois Dispositifs de Séparation du Trafic (DST) qui établissent des « routes » obligatoires que doivent emprunter chaque navire entrant ou sortant, avec des centres de surveillance et de sauvetage (CROSS et MRCC) répartis de part et d'autre de ses côtes, avec des moyens d'intervention et de sauvetage disponibles de tout temps et à toute heure, la sécurité maritime est garantie aux navires qui circulent sur cette autoroute maritime qu'est la mer de la Manche.

Un tel dispositif est le fruit d'expériences souvent malheureuses, l'Amoco Cadiz, le Torrey Canyon, l'Erika en sont quelques-uns des plus illustres et funestes exemples, mais ils ont permis que les situations évoluent et que des réglementations soient mises en place pour limiter le risque d'accident et les pollutions qui y sont souvent associées.

Depuis décembre 2011 et l'échouage du TK Bremen lors de la tempête Joachim sur la plage d'Erdeven dans le Morbihan, les accidents majeurs sont rares. On se souvient de ce navire grec, l'Ice Prince, transportant des bois de charpente qui en janvier 2008 perdit sa cargaison appontée et coula en pleine mer à mi-distance des côtes françaises et britanniques. Sa cargaison vint s'échouer sur les plages du Sussex. Mais ces quelques exemples sont exceptionnels. Ce n'est pas pour autant que les signalements d'avaries sont en baisse, que les interventions des CROSS diminuent, mais les navires, en meilleur état après des années de lutte contre les navires poubelles, les systèmes d'assistance et de contrôles toujours plus performants et quelques années de crise grave dans le monde maritime qui ont favorisé le désarmement des navires en très mauvais état, ont assaini le paysage du trafic maritime mondial.

Les enjeux de sécurité n'en sont pas moins importants car le trafic maritime, même s'il a accusé les effets de la crise économique mondiale, ne s'affaiblit pas, bien au contraire. Le trafic est toujours plus intense et le risque toujours présent. Cependant, la nature des interventions change.

Au total, pour l'année 2015, les trois CROSS français surveillant l'espace Manche ont enregistré 3 519 interventions dont moins de 80 concernent des navires de commerce, soit 2,3 % des interventions. Il s'agit le plus souvent d'envoi d'assistance médicale ou d'acheminement de pièces de rechange pour des réparations mécaniques.

La plus grande part des interventions des CROSS se situent dans la limite des 300 mètres à la côte et concerne des activités nautiques ou de plaisance. Le développement de ces pratiques engendre une recrudescence des accidents et de conduites à risque. Le secteur professionnel n'est pas non plus en reste, la pêche connaît une hausse de demandes d'intervention, les tensions entre pêcheurs, les mauvaises conditions météo et les avaries ou accidents nécessitant l'envoi de moyen de sécurité et de surveillance sur zone sont en hausse.

Exemple récent d'assistance aux marins pêcheurs

Dans la matinée du 1er juin 2016, un caseyeur de la Hague, La Sarcelle, envoie un signal de détresse au CROSS Jobourg. Le feu s'est déclaré dans le compartiment des machines alors que l'équipage achevait de remonter les casiers à proximité du Raz Blanchard. Les quatre marins montent dans leur canot de sauvetage alors même que le bateau de pêche sombre en quelques minutes. Recueillis par un autre navire pêchant sur la zone, l'équipage est sain et sauf. Le CROSS dépêche alors la SNSM locale pour aller récupérer les éventuels débris et signaler tout risque de pollution.

Dans le domaine du commerce maritime, la tendance est stable depuis quelques années. Sur les 137 629 navires de plus de 300 UMS (universal measurement system) qui ont déclaré en 2015 leur passage dans les DST comme la législation de l'OMI le leur impose, seuls 405 navires ont signalés une avarie, qui dans 90 % des cas a pu être réparée sans envoi d'assistance.

Pourtant, les différents CROSS de la zone notent une augmentation du nombre de signalements d'avaries de la part des navires de commerce. Ces derniers concernent dans la très grande majorité des problèmes sur le circuit de combustibles. Ces signalements nombreux depuis le 1er janvier 2015 et l'entrée en vigueur de la directive limitant l'émission de soufre ne donnent pas lieu à des comptes-rendus obligatoires (CRO) comme cela est généralement le cas, les réparations durant moins d'une heure et les cas étant trop nombreux.

Directive « Émission de soufre » et avaries moteur en hausse

La Convention MARPOL (convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires du milieu marin) mise en place par l'OMI et adoptée en novembre 1973, stipule dans une de ses annexes que la mer du Nord est désignée depuis 2005 comme une « Zone de contrôle des émissions de soufre » (ZCES). Dès lors s'appliquent dans ces espaces des normes très strictes en matière d'émissions de soufre. Ainsi les navires qui naviguent dans cette zone ont-ils obligation depuis le 1er janvier 2015 d'utiliser des combustibles moteur ayant une teneur en soufre maximale de 0,1 % contre les 1 % autorisés auparavant. Cela implique pour les navires d'utiliser des distillats marines appelés MDO (Marine Diesel Oil) ou MGO (Marine Gas Oil). Mais pour une question économique et parce que le coût de ces distillats est beaucoup plus onéreux que les fuels lourds traditionnellement utilisés, les navires ne peuvent consommer ce combustible en permanence, ils changent donc de combustible dès qu'ils entrent ou sortent d'une ZCES. C'est à ce moment que les avaries sont les plus fréquentes, le passage de l'un à l'autre combustible entraînant des problèmes mécaniques au niveau des filtres et injecteurs des moteurs.

Les accidents de navires de commerce sont également moins nombreux et quand ils se produisent, ils sont fort heureusement sans conséquences graves. La nature de ces accidents changent également : pendant de nombreuses décennies, le risque d'accident s'accompagnait d'une inévitable pollution par hydrocarbures, due soit au déversement de la cargaison du navire (pétrole lourd, fioul...) soit au déversement des liquides de combustion. Le développement du trafic de conteneurs a pour conséquence directe des pertes nombreuses et fréquentes de ces « boites » qui représentent un véritable risque pour les navires circulant dans la zone. Flottant entre deux eaux, elles sont autant d'obstacles potentiels à la navigation pour les petites embarcations, comme les plus grandes. Le récent accident du Svendborg Maersk ayant occasionné une perte record de conteneurs dans le golfe de Gascogne en est l'illustration. C'est là un nouvel enjeu de la sécurité maritime qui préoccupe les autorités maritimes internationales.

Si la nature des interventions changent, le risque est toujours présent. Les accidents sont moins nombreux en comparaison de l'intense trafic maritime qui anime cet espace. Le cliché ci-dessous illustre l'ampleur de la tâche dévolue aux différents CROSS, surveiller un trafic maritime toujours plus complexe et toujours plus important. Le système de surveillance, à l'identique des systèmes aériens se révèle particulièrement efficace et fait de cette petite mer-franco-britannique l'une des plus sûre au monde.

 

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