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Brexit : quels changements dans le paysage transmanche ?
Auteurs : Frédérique Turbout, Pascal Buléon

Le 24 décembre 2020, après quatre ans et demi de négociations, un accord a été signé entre l'Union Européenne et le Royaume-Uni. Entré en vigueur le 1er janvier 2021, cet accord couvre les échanges de biens, de services, mais aussi les questions de concurrence, de fiscalité, de sécurité, de transport, d'énergie, de pêche, …).

Cet accord vient en complément à l'accord de retrait ratifié en octobre 2019. Signé par le président du Conseil Européen et la présidente de la Commission Européenne et le premier ministre Britannique B. Johnson, il a été approuvé par les députés britanniques et doit encore être adopté par la Parlement européen début 2021. Cet accord entraîne la fin de l'appartenance du Royaume-Uni à l'Union Européenne et bouleverse le paysage transmanche dans son fonctionnement au quotidien. 

Si les tensions ont parfois été vives entre la France et l'Angleterre, comme en témoignent les rivalités sur les mers, les guerres et conflits durant près de trois siècles, ces évènements ont participé à la construction d'une histoire commune dont l'issue fut une Entente Cordiale qui depuis plus d'un siècle et demi unie France et Royaume-Uni. Les deux États ont construit dans leur histoire récente des liens forts, le débarquement de Normandie en Juin 1944 rappelle la teneur de ces relations. Depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, les liens se sont renforcés, les échanges se sont multipliés et les relations avec le proche voisin britannique se sont construites conjointement. 

Ces liens se traduisent au quotidien dans la vie des habitants comme en témoignent ces collégiens anglais qui viennent en nombre visiter la Tapisserie de Bayeux ou le Mémorial de Caen, le Mont-Saint-Michel, ou les plages du débarquement, ces jeunes joueurs qui s'affrontent dans des tournois de rugby franco-britannique, ces échanges dans le cadre des 350 jumelages entre villes anglaises et françaises de l'Espace Manche, où de jeunes adolescents viennent renforcer leur pratique de la langue durant quelques jours ; ce sont également ces étudiants Erasmus qui suivent leurs cursus dans les universités et écoles de part et d'autre de la Manche : ce sont ces Français installés en masse à Londres, ces 70 rotations de ferries qui relient quotidiennement les deux rives du Channel et permettent à nombre d'Anglais de rejoindre en quelques heures leurs résidences secondaires en Bretagne, Normandie ou Périgord. Ce sont ces liaisons Eurostar qui mettent La Défense à une heure de la City et facilitent le travail de millions de personnes chaque année, c'est également ce rêve insensé de lier la Grande Île au reste de l'Europe via le lien fixe qu'est le Tunnel sous la Manche. Et au cœur de ce quotidien, les deux rives de la Manche, face à face et côte à côte, encadrent un espace commun, une petite mer franco-britannique où usagers de la mer se côtoient chaque jour. Depuis plus de 30 ans, ces échanges, ces pratiques animent un même espace vécu transfrontalier et maritime. La frontière n'existait plus, la Manche était devenue une zone tampon, un espace de transit, de repos ou de loisirs. Le Brexit vient remettre en cause ce quotidien. 

1. La pêche, point de friction et de tensions des négociations 

1.1. Un contexte complexe 

Ce que les Britanniques et leurs voisins européens ont en commun aujourd'hui, c'est cette petite mer franco-britannique. Elle fut l'objet de toutes les tensions de par la richesse de ses ressources. Si les résultats du vote en faveur du Brexit l'ont emporté, c'est en partie grâce aux votes favorables des marins britanniques. La pêche a toujours été un point de tension entre Royaume-Uni et Union européenne.

En effet, entre les deux rives de la Manche, l'écosystème est commun et fonctionne sans frontière. Les zones de frayères (nourricières) se situent le long des côtes, allant de la France au Danemark et quand les poissons grandissent, ils migrent vers des eaux plus froides et plus profondes comme en Mer du Nord. L'autre particularité de la Manche est que les zones poissonneuses sont plus nombreuses le long des côtes britanniques. Ces zones sont donc particulièrement attractives pour les pêcheurs européens qui, jusqu'au Brexit, avaient accès à ces zones riches en espèces à forte valeur ajoutée.

Plus généralement, l'accès aux zones de pêches de l'Union européenne est ouvert, sous réserve de licences de pêche accordées aux professionnels des différents états membres. Ces autorisations sont délivrées en tenant compte des lieux d'immatriculation des navires et des zones de pêches définies internationalement (zones CIEM).


Carte n°1 : Zones de pêche CIEM en Manche.
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Source ; Atlas Transmanche.

Les prises sont autorisées dans la limite des 12 miles nautiques et chaque pêcheurs qui possèdent des licences adéquates peut y exercer son activité en respectant les quotas imposés par la Politique commune de la pêche (PCP). Depuis 1983 et la mise en application de la PCP, l'Union Européenne (UE) a la compétence exclusive dans la gestion des ressources biologiques des mers qui la bordent. Ainsi, jusqu'au Brexit, l'UE et le Royaume-Uni avaient en gestion partagée une centaine d'espèces différentes. Cette gestion commune permettait l'établissement de quotas pour précerver la ressource et éviter des problèmes de surpêche. Au fil des années, la PCP s'est renforcée de législations et mesures supplémentaires permettant de mieux gérer les stocks et d'éviter l'épuisement de certaines espèces particulièrement convoitées. Aussi, les quotas ne sont-ils pas identiques d'une zone de pêche à l'autre, d'une mer à l'autre. C'est le cas entre la Manche et la Mer du Nord où les quotas diffèrent.

Dans la Mer de la Manche, les pêcheurs français, britanniques, hollandais, belges pouvaient pêcher sur l'ensemble des eaux de la Manche et de la Mer du Nord, avec un accès restreint pour certains pays, au titre « d'activités traditionnelles anciennes » à la zone des 6 à 12 miles britanniques, cette zone très poissonneuse tant convoitée. A l'inverse, les pêcheurs britanniques pouvaient pêcher dans les eaux européennes et vendre leurs prises sur le marché européen sans droit de douane ou contrôle sanitaire. C'est cette situation de pêche favorable aux voisins européens dans les eaux territoriales britanniques qui a suscitée de vives oppositions des pêcheurs anglais. 

Certaines unités de pêche réalisent entre 70 et 80 % de leurs prises annuelles dans ces eaux anglaises. Leur en fermer l'accès signifie pour ces professionnels, la fin de leur activité à court terme. S'il est difficile de donner un chiffre exact du volume pêché dans les eaux britanniques par les pêcheurs européens, les spécialistes estiment qu'en 2015, ce sont près de 10 000 de tonnes qui ont été prélevées dans ces eaux par les pêcheurs de l'UE. Côté français, on estime que le manque à gagner de la fin de l'accès aux zones de pêches anglaises se monterait à quelques 170 millions d'euros, soit 30 % du chiffre d'affaire des chalutiers français. 30 % des prises des pêcheurs français se font dans les eaux anglaises du Channel.

Carte n°2 : Droits de pêche et espèces autorisées à la prise en Manche.  
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Source : Atlas Transmanche.

A l'inverse, 76 % des poissons pêchés par les pêcheurs britanniques sont destinés au marché de l'Union Européenne. Le Royaume-Uni est exportateur net de produits de la mer et la France est le premier receveur de ces produits, notamment en Normandie. Les pêcheurs britanniques sont le troisième fournisseur de la filière agro-alimentaire française dans l'industrie de transformation du poisson (principalement des espèces telles que les maquereaux, saumons et lieus noirs).

De son côté, la France vend au Royaume-Uni du saumon, du thon sous diverses formes, de la coquille saint-jacques et des huiles de poisson. 

Exportations et importations françaises avec le Royaume-Uni - 2019 

Exportations : 14 815 tonnes pour une valeur de 118 539 €

Importations : 102 628 tonnes pour une valeur de 684 733 € 

Source : France AgriMer – Commerce extérieur des produits de la pêche et de l'aquaculture données et bilans 2019.  

La sortie de l'Union Européenne par le Royaume-Uni a suscité de grands espoirs pour les pêcheurs britanniques, de grandes inquiétudes pour leurs homologues européens et de longues et âpres négociations. 

1.2. Les nouveaux accords de pêche en Manche 

Les termes de l'accord négocié de longue haleine entre gouvernement britannique et Bruxelles sont les suivants : jusqu'en 2026, les pêcheurs européens gardent un droit d'accès aux eaux britanniques, puis à partir de 2026, ils devront renoncer à 25 % de leurs prises dans les eaux du Royaume-Uni. A partir de cette date, les négociations sur les zones et les quotas seront annuelles.

Cet accord est bien évidemment très en deçà de ce que les pêcheurs britanniques espéraient. D'une part, le retrait n'est pas immédiat et repoussé à l'horizon de 5 ans et demi, mais en plus de cela, la définition de l'accès aux zones et des quotas se fera chaque année, avec la crainte pour les pêcheurs anglais de ne pas pouvoir peser suffisamment et éviter que l'Union Européenne n'impose ses vues. Le sentiment général côté pêcheurs anglais est celui d'un sacrifice de la filière au profit d'un accord qui garantisse le commerce et les échanges avec le moins d'entraves possibles. Il est vrai que les quelques 12 000 emplois directs et indirects de la filière pèsent peu dans la balance des négociations, quand cette filière ne représente que 0,1 % du PIB du Royaume-Uni.

Côté français, on ne se satisfait pas plus de cet accord, car à courte échéance, il faudra renoncer à 25 % des prises. De plus, les pêcheurs français de la Manche redoutent la négociation au coup par coup des quotas et des zones de pêches à partir de 2026, une procédure qui non comptant de limiter les prises, n'offrira pas de visibilité à long terme de l'activité et conduira à limiter les investissements.

Si cet accord déçoit les deux côtés de la Manche, il reste un autre espace de la Manche, où les tensions déjà vives et régulières ne risquent pas de s’apaiser, ce sont les îles anglo-normandes. 

1. 3. Le cas particulier des îles anglo-normandes 

Avant tout, il convient de faire remarquer que le cas des îles anglo-normandes a été écarté des accords du Brexit sur la pêche. L'activité, dans le Golfe normand-breton, était régie par des accords particuliers. Ainsi, depuis juillet 2004, la pêche aux abords de Jersey était organisée selon les accords dits de la « Baie de Granville »fixant l'accès aux eaux territoriales jersiaises. Dans le cas de Guernesey, la Convention de Londres prévalait. Le Brexit met un terme à ces deux accords qui deviennent caduques et oblige à renégocier les pratiques de la pêche dans la zone. La reconnaissance de la notion de pratique antérieure est importante et réclamée par les pêcheurs normands et bretons qui depuis le 1er janvier 2021, n'ont plus accès aux eaux anglo-normandes. 340 permis de pêche existaient avant le Brexit, seuls 57 permis ont été renouvelés depuis l'entrée en vigueur des accords de décembre 2020. Les négociations sont en cours mais les décisions tardent et les pêcheurs s'inquiètent à juste titre. Le ministre des Affaires étrangères britannique a autorisé l'accès temporaire des eaux anglo-normandes, jusqu’à la fin avril 2021 aux pêcheurs français. Après cette date, des licences de pêche, sésames indispensables à l'accès aux zones de pêche, seront délivrées sous certaines conditions. La crainte des pêcheurs bretons et normands est de ne pas récupérer leurs droits antérieurs. A l'inverse, les pêcheurs anglo-normands doivent pouvoir retrouver l'accès aux ports de débarque en conservant des avantages en terme de contrôle sanitaire et douanier, une demande a d'ailleurs été formulée auprès du gouvernement français pour que le port de Diélette soit ajouter aux ports de débarque des pêcheurs de Guernesey, comme le sont d'ores et déjà Granville, Cherbourg et Carteret.

L'épineuse question de l'accès aux eaux territoriales dans les îles anglo-normandes risquent de raviver des tensions, déjà lourdes et régulières entre marins normands, bretons et marins des îles. 

2. Libre échange, commerce et coopération 

Si la pêche a été et est encore une question cruciale au cœur des négociations anglo-européennes du Brexit, la majeure partie de l'accord signé en décembre concerne les échanges de biens et de personnes. L'Espace Manche est un l'un des premiers couloirs de circulation maritime au monde, dans le sens est-ouest, il est également animé de multiples échanges quotidiens. Près de 377,7 millions de tonnes de marchandises ont été débarquées dans les ports de la zone et presque 30 millions de passagers (hors tunnel sous la Manche) ont traversé la Manche en 2018.

Si la crise de la Covid-19 a marqué un arrêt temporaire de ces échanges, notamment sur les lignes passagers, il est certain, comme en témoigne les bons résultats du port de Cherbourg en ce début d'année 2021 (trafic fret multiplié par 3 avec 9000 camions ou remorques transportés), que les échanges dans cet espace transfrontalier maritime sont massifs et quotidiens et se poursuivront.

La Mer de la Manche est la porte d'entrée et de sortie des marchandises en provenance ou à destination du Royaume-Uni. Ces échanges indispensables, notamment entre la France et le Royaume-Uni sont directement concernés par les termes de cet accord. 

2.1. Contexte et possibles options 

Dans les négociations sur les échanges, plusieurs options pouvaient être envisagées. La première proposition fut de créer une union douanière, ou les droits de douane entre les pays membres seraient supprimés sur tous les produits ou sur seulement certains d'entre-eux, mais cette option fut refusée à trois reprises par les parlementaires britanniques. La seconde option reposait sur la mise en place de tarifs douaniers communs mais pour les autres pays tiers, sur le modèle du Mercosur, garantissant ainsi au pays signataires une concurrence moindre. Il était également possible de s'entendre sur les normes des produits afin d'alléger, voire de lever, les contrôles aux frontières. Ce type de relations existe déjà au sein de l'Union Européenne entre les pays membres et les pays de l'Espace Économique Européen. Mais le Royaume-Uni a refusé ces accords car il souhaitait se laisser la possibilité de négocier des accords de libre-échange avec des pays tiers sans être soumis aux exigences de l'Union Européenne en matière de tarifs douaniers, notamment. De plus, le Royaume-Uni était opposé à la libre circulation des personnes. Les négociations longues ont enfin conduit à un accord, mais comme fort justement souligné Michel Barnier, cet accord ne satisfait pas pleinement les deux parties, il l'a d'ailleurs qualifié d'accord « loose-loose ». D'un côté comme de l'autre de la Manche, cet accord de libre échange négocié âprement ne satisfait pas les professionnels du commerce et les entreprises qui se voient imposer de nombreuses démarches administratives supplémentaires.  

2.2. Un accord de libre-échange soumis aux règles européennes 

Le nouvel accord commercial repose sur les principes du libre-échange et s'abstrait des droits de douane et de quotas mais oblige les entreprises à se soumettre à des contrôles sanitaires et douaniers stricts. Ces mêmes entreprises sont tenues de respecter les règles et normes en vigueur dans l'Union Européenne, sous peine de voir leurs marchandises rejetées à la frontière.

Les entreprises britanniques sont obligées de respecter les règles et normes européennes et doivent présenter des déclarations d'importation et d'exportation pour les deux parties. Les entreprises sont soumises aux règles européennes en matière d'environnement, de droits sociaux, de fiscalité, de sécurité alimentaire et d'aides d’État évitant toutes possibilités de dumping. Pour les entreprises, les charges administratives sont importantes et pour certaines d'entre-elles presque insurmontables. Le coût des certificats sanitaires et des déclarations s'ajoutent aux frais de transport, et s'il n'existe pas à proprement parlé de tarifs douaniers, ces coûts sont un handicap pour nombre d'activités économiques. Ainsi, le coût d'un certificat sanitaire s'élève environ à 180 £ soit un peu plus de 200 euros par certificat. Il est évident que ces charges supplémentaires constituent un handicap soit pour le producteur, soit pour le consommateur à plus ou moins long terme.

De plus, lors de ces négociations, il n'a pas été possible d'imposer un alignement des normes européennes et britanniques au fur et à mesure de leurs évolutions. Si l'écart devient trop important, il restera la possibilité de l'une ou l'autre partie de réinstaurer des droits de douane et en cas de litiges trop important, un Conseil de Partenariat sera mis en place, le Royaume-Uni ne voulait pas de la Cour de justice européenne. De plus, des négociations seront possibles sur tous les points de l'accord. 

2.3. Le cas irlandais ou l'impossible compromis 

Le Brexit a entraîné la remise en place des frontières, et de fait celle qui sépare la République d'Irlande de l'Irlande du Nord. Cette perspective a représenté pendant de nombreux mois le point bloquant des négociations entre l'Union Européenne et le Royaume-Uni. La peur d'une relance du conflit armé entre les deux Irlandes a pesé sur les négociations. Au final, l'île est soumise à un dispositif douanier et réglementaire particulier : elle applique le code européen des douanes pour les produits entrants ou sortants, évitant qu'un contrôle soit établit entre les deux Irlandes mais des contrôles peuvent être opérés en mer d'Irlande sur les produits importés en Irlande du Nord depuis le reste du Royaume-Uni ou d'un pays tiers. Ce compromis qui a longtemps semblé impossible est un moindre mal. Il reste à observer comment, dans la pratique, les échanges vont se comporter. 

3. Finances : Absence d'accords mais anticipation de la City 

Si les risques que le Brexit ont fait peser sur la sphère financière ont alimenté une grande partie des annonces journalistiques, la City s'est préparée à cette situation et à procéder à la migration de plus d'un tiers des transactions sur les sociétés européennes, via les places financières de l'UE. En anticipant ces mouvements, la City a pu conservé sa position de place financière mondiale majeure. L'accord signé fin décembre ne prend pas en considération la finance et les services financiers, toutefois, légalement la City ne peut plus vendre des produits financiers dans l'UE. Dans la réalité, des dérogations existent et les banques et fonds d'investissement avaient anticipé en délocalisant leurs installations dans les pays de l'UE.  

4. Retour de la frontière, retour des passeports et visas 

Chaque année près de 30 millions de personnes traversent la Manche par bateau, plus de 10 millions empruntent le Tunnel, et quelques dizaines de milliers voyage par les airs entre les aéroports londoniens et parisiens ou via les aérodromes de la zone. Au final, cette circulation libre et sans entrave au quotidiena fait de cette frontière maritime qu'est la mer de la Manche, un passage, une courte parenthèse entre les deux rives et un véritable pont entre les Îles britanniques et le continent européen. Peu à peu, au fil des années et des échanges, cet espace transfrontalier s'est imposé comme une passerelle entre les deux, librement empruntée par des millions de personnes chaque année. Le lien fixe et le tunnel sont venus conforter cette proximité croissante entre les deux rives. La frontière administrative invisible entre les deux pays n'existait plus, ni dans les esprits, ni dans les faits. Dès le 1er janvier 2021, cette situation ne fut plus la réalité, le Brexit marque la fin de la libre-circulation des personnes. Le contrôle aux frontières redevient une réalité.

Dès lors, les courts séjours de loisirs ou pour affaires vont nécessiter l'usage d'un passeport et dans le cas des séjours de plus de 6 mois, le visa deviendra obligatoire à compter de fin 2021. De fait, tous les documents de type permis de conduire et carte européenne d'assurance maladie ne sont plus valables sur le territoire britannique.

Les 4 millions de personnes qui travaillent et résident au Royaume-Uni conservent leur droit de résidence et de travail et il en est de même pour les Britanniques travaillant dans l'Union Européenne mais les nouveaux entrants sont soumis à des restrictions en terme de migration. Il faudra pouvoir justifier d'une offre d'emploi avec un salaire minimum de 30 000 euros annuels pour obtenir un visa de travail et rester travailler outre-manche. Cette clause restrictive marque la fin des migrations de jeunes en quête de petits jobs qui dès lors bénéficieront avant tout aux locaux.

Et quid de la brûlante question des migrations internationales qui s'accumulent à proximité des voies de passage vers le Royaume-Uni, comme à Dunkerque ou Ouistreham ? Rien ne change, les accords de Dublin restent la règle et les contrôles se font dans le premier pays de l'Union européenne réceptionnant le migrant. Cet accord permet ainsi au Royaume-Uni de maintenir la question migratoire, à bonne distance, sur l'autre rive de la Manche ou de la mer du Nord.

Pour les étudiants qui, dans le cadre des programmes européens Erasmus, avaient la possibilité de séjourner dans un pays européen pour y effectuer leurs cursus, le Brexit met un terme à cette opportunité. Ils devront dès lors qu'ils souhaiteront étudier au Royaume-Uni, s'acquitter des droits universitaires, que l'on sait très élevés outre-manche, sauf si des accords sont mis en place de gré à gré entre écoles et universités. A terme, cela va incontestablement limiter les échanges et au-delà de ces échanges, les coopérations entre enseignants. De même, la fin des aides financières de l'Union Européenne va impacter rapidement les programmes de recherche à venir et plus largement les coopérations de recherche dans cet espace transfrontalier maritime. Ce manque à gagner risque de devoir être compensé par d'autres sources de financement, essentiellement privées.  

5. La sécurité reste liée étroitement aux institutions européennes 

Quitter l'espace de coopération européen impacte nécessairement nombre d'activités et plus généralement l'ensemble des populations qui vivent de ces relations étroites entre les deux rives de la Manche. Dans cet ordre d'idée, il est une question qui est essentielle au regard de la géographie même de la zone. La mer de la Manche est une mer dangereuse qui a connu nombre d'accidents depuis plus de 50 ans : Torrey Canyon, Amoco Cadiz, Tricolor ne sont que quelques exemples des épisodes noirs que cette petite mer a connu. Mais c'est aussi à cause de ces accidents multiples qu'elle est devenue l'une des mer les plus sûre au monde, intégrant un système de surveillance imitant celui du système de contrôle aérien. Depuis plus de 5 ans, aucun accident majeur ne s'est produit en Manche, les bateaux sont évidemment plus sûr, et ont été pour partie renouvelé à la suite ou grâce à la crise de 2008. Le Brexit aurait pu remettre en cause cette stabilité et cette sécurité que jalousent nombre d'espaces maritimes dans le monde. Il n'en sera rien, le système mis en place et les rôles dévolus aux uns et aux autres restent d'actualité. Au delà de la gestion de la circulation maritime, les questions de sécurité nationale et internationale se posent également. Les collaborations policières et judiciaires entre Union Européenne et Royaume-Uni se poursuivront au-delà du Brexit par l'intermédiaire d'Europol et d'Eurojust via un service dédié qui sera mis en place côté anglais pour faire le lien entre polices britannique et européennes. Au delà de ces questions, qu'il s'agisse de sécurité extérieure ou intérieure ou bien encore de politique étrangère, les coopérations ne sont plus régies par l'appartenance à l'Union européenne, mais reste la décision pleine et entière mais séparée du Royaume-Uni et de l'Union Européenne. 

6. Premières difficultés, premiers écueils 

Si dans les premiers jours de janvier, hormis une hausse du trafic fret maritime, peu de difficultés étaient observées, depuis les premiers jours de janvier, les problèmes surgissent :  

Concernant la pêche, le principal problème réside dans l'accès aux zones de pêche des îles anglo-normandes, notamment pour les petits pêcheurs côtiers qui ne peuvent justifier de leur présence dans les eaux anglo-normandes ces trois dernières années. Pour lors, seulement 57 autorisations de pêche ont été délivrées contre les 340 existantes auparavant. Les parlementaires et élus locaux appellent à de rapides négociations, car les accès délivrés depuis janvier en sont valables que jusqu'en avril 2021. Au delà, il faudra que la question soit tranchée aux risques de raviver des tensions entre professionnels qui tendaient pourtant à s'apaiser.  

Le commerce n'est pas en reste et les premières difficultés observées concernent avant les délais de livraison qui sont allongés du fait des contrôles imposés aux frontières. Le transport de marchandises, notamment le périssable, ne peut souffrir de retard dans l'approvisionnement. L'exemple emblématique de ces difficultés se retrouve dans la pêche écossaise. Cette dernière est menacée car la livraison des fruits de mer a chuté de près de 80 %, faute de pouvoir assurer une livraison sous 24 heures. Les trois quart des navires se retrouvent à quais et le court des produits chute faute de demande.Les contrôles douaniers et sanitaires imposent un temps d'attente augmenté de 3 à 5 % en moyenne, dus en partie au manque de vétérinaires disponibles pour contrôler les certificats.

Ces délais de livraison et les contrôles sanitaires restreignent les échanges de produits frais, de légumes primeurs et de fruits saisonniers.

De plus, les procédures administratives ont un coût non négligeable pour les producteurs et risque à terme de limiter les échanges, voire d'entraîner des relocalisations de productions ou de ralentir dans un premier temps les échanges. Les cabinets d'experts comptables estiment ainsi que 20 % des PME ont suspendu leur exportations vers l'Union Européenne depuis le Brexit.

Enfin, un des effets observés de ce Brexit sur les échanges concerne les transports maritimes : les transporteurs irlandais contournent le Royaume-Uni et favorisent les traversées via l'Irlande et les ports de Cork et Rosslare pour éviter les contrôles sanitaires et douaniers.Le port de Cherbourg voit ainsi son trafic en provenance de l'Irlande multiplié par 3.  

Enfin, un domaine qui a peu fait l'objet de négociation, celui de l'art soulève aujourd'hui de graves interrogations, notamment concernant l'organisation de manifestations, de tournées, de spectacles outre-manche. Les coûts imposés par la remise en place de la frontière, notamment le coût des visas, vient remettre en cause l'organisation de ce type de manifestations. Les professionnels du spectacle, les organisateurs de concerts alertent le gouvernement britannique sur le risque qui pèse sur cette sphère économique importante et réputée de l'économie britannique. Le gouvernement de B. Johnson entame des négociations au cas par cas, le monde des arts reste suspendu aux décisions et négociations à venir.   


Le Brexit ouvre une nouvelle page de l'histoire transmanche. Les difficultés seront évidemment nombreuses mais il faut espérer qu'au fil du temps, les deux côtés de la Manche trouveront des manières de procéder, de limiter les obstacles et de poursuivre des échanges et une entente qui se mesure au quotidien dans les habitudes que les habitants ont construit autour de cette petite mer franco-anglaise. Le Brexit est un tournant pour cet espace transfrontalier maritime, il doit se traduire par de nouvelles perspectives de développement pour les espaces transfrontaliers de la Manche.


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