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Agriculture, Pêche, Élevage La Normandie fut, fin août 2014, le cœur battant de la planète cheval. Les Jeux équestres mondiaux organisés pour la première fois en France ont permis de faire connaître aux yeux du monde entier la région bas-normande comme terre d'excellence du cheval. Pourtant quelle connaissance le grand public a-t-il de cette filière ? Quel poids économique représente la filière en France mais également au Royaume-Uni ? Quelle est la position de l'espace Manche dans cette planète cheval ? En Manche, au détour d'une haie, dans l'Orne sur un pré ceint de barrières de bois blanches, ou bien encore dans le Devon anglais en liberté sur les landes du Dartmoor, le promeneur peut voir s'ébattre chevaux, poneys et ânes. Prend-on réellement la mesure de ce qu'ils représentent pour les régions transmanche ? À les côtoyer au quotidien, les connaît-on vraiment ? Ce monde équin en France comme au Royaume-Uni s'est démocratisé, ouvert aux plus jeunes et au grand public, alors que de nouveaux usages du cheval ont vu le jour. Diversité des espèces, diversité des métiers, diversité des enjeux financiers et économiques renvoient parfois l'image d'un monde complexe, d'où l'idée même de filière peut paraître bien éloignée. Pourtant, ce qui unit tous les acteurs de cette sphère « cheval », c'est avant tout une véritable passion commune, un amour des animaux que l'on retrouve quel que soit leur domaine d'activité spécifique, qu'ils soient cavaliers réguliers ou occasionnels, éleveurs ou drivers, turfistes ou simples spectateurs. C'est avant tout ce qui frappe le néophyte qui tente d'approcher cette filière. Mieux cerner les populations d'animaux concernées, les acteurs, les organismes, l'économie peut permettre de mieux comprendre les mécanismes, enjeux et problèmes de cette filière à part entière.
Manche (50), Normandie (France) - © Guy Milledrogues, 2005.
Filière économique, sociale, culturelle majeure de l'espace Manche, la filière équine trouve ici-même, dans cet espace maritime transfrontalier, un terrain propice à son épanouissement, son développement, au delà des frontières nationales. L'Atlas Transmanche se devait d'y porter une attention particulière. 1. Le cheval en chiffresL'espace Manche compte quelques 1,6 million d'équidés, selon les dernières estimations réalisées au Royaume-Uni et les données issues de l'enregistrement des animaux en France. La filière équine dans son ensemble occupe une place de tout premier ordre dans l'économie des régions transmanche ; elle occupe également une part importante de la population active, directement ou indirectement et génère des flux financiers loin d'être négligeables. Combien d'équidés sont concernés, combien d'élevages et de quels types ? Quelles sont les retombées en terme d'économie locale de la filière équine, tant au niveau des entreprises que de l'emploi ? Autant de questions qui nécessitent avant tout de mieux comprendre l'objet-produit de cette filière, les équidés. 1.1. Répartition des équidés dans l'espace MancheS'il est difficile de connaître avec précision le nombre d'équidés présents dans la totalité de l'espace Manche faute de recensement fiable et accessible côté britannique, on peut cependant analyser leur répartition du côté français de la zone et brosser à grands traits la situation de l'autre côté de la Manche. Dans les régions françaises de l'espace Manche, on recensait en 2010 près de 252 000 équidés, soit 40 % du total français. 15 % de ces équidés se localisent en Basse-Normandie, faisant de cette région la première région équine française. Côté anglais, 988 000 équidés ont été dénombrés lors du dernier comptage réalisé par la British Equestrian Trade Association en 2011. La majorité des équidés sont présents en Angleterre (82 % du total), 11 % sont au Pays de Galles et 7 % en Écosse.
Répartition des équidés dans les régions françaises transmanche (2010)
Sources : REFerences, 2013.
En France, avec un cheptel de 96 000 têtes, la Basse-Normandie se démarque très nettement. Elle détient près de 17 % des chevaux de selle français. Avec la région Bretagne, ce sont également les deux régions françaises de la zone transmanche à compter le plus grand nombre de chevaux de trait. Première de la zone également pour le nombre d'ânes et de mulets, la Basse-Normandie est une terre du cheval par excellence, suivie de près par la Bretagne. La raison de ces positions dominantes tient peut-être au fait que Bretagne et Normandie sont des terres d'élevages et d'agriculture bocagère ou l'usage des équidés dans les travaux agricoles était de mise dans beaucoup d'exploitations. Les nombreuses races issues de ces deux régions témoignent de cet ancrage ancien de l'élevage équin normand et breton. 1.2. Races et identification des équidés1.2.1. Les races transmancheEn France, 51 races sont reconnues officiellement. Elles sont soit d'origine française, soit étrangère et se répartissent ainsi :
Au Royaume-Uni, on retrouve de très nombreuses races réputées dont l'incontournable Pur Sang anglais. Beaucoup de ces races issues des îles britanniques sont des races de poneys et nombre d'entre-elles sont en voie d'extinction ou sont fortement menacées. Ainsi le cheval de la Baie de Cleveland, le poney de Dales, d'Eriskay ou du Suffolk ne comptent plus que quelques 500 animaux dans leurs rangs. Les poneys Exmoor ou Hackney sont en voie de disparition. Les poneys Dartmoor, le Highland, le Welsh sont classés « animaux vulnérables ». Leur identification systématique est un gage de suivi de la race mais aussi de protection contre le vol entre autre chose, or nous verrons par la suite que ce système est défaillant outre-manche. 1.2.2. L'identification des équidésEn France, l'inscription est obligatoire depuis 2003. Chaque éleveur ou propriétaire d'équidés doit déclarer son animal sur une base de données gérée par les Haras Nationaux. Cette identification doit être effectuée dès que l'animal est sevré et au plus tard avant qu'il n'atteigne l'âge de un an. De même, tout équidé né à l'étranger importé en France ou introduit sur le territoire doit être identifié. Cette immatriculation sur la base de donnée centralisée des Haras Nationaux doit permettre de lutter plus efficacement contre les vols, d'assurer la sécurité sanitaire de la filière en permettant une meilleure traçabilité des animaux et dans le cadre des manifestations équestres de garantir la régularité de participation aux courses tout en authentifiant et certifiant l'origine de l'animal. En Angleterre, avant 2012, un système équivalent existait : la National Equine Database (NED). Fermée en 2012 par décision du gouvernement britannique qui ne souhaitait plus en assurer le financement et donc le fonctionnement, elle était fort mal renseignée par les propriétaires. Faute de nouveau système, il n'existe plus d'identification systématique des équidés au Royaume-Uni. L'Union européenne a sommé la DEFRA de mettre en place une base d'identification au plus tard en 2015. 1.3. L'élevage des équidés1.3.1. GénéralitésL'élevage des différentes races d'équidés est une activité qui occupe de nombreuses personnes dans l'espace Manche et plus généralement en France et au Royaume-Uni. Les maigres données disponibles sur le sujet côté anglais ne permettent pas de dresser une comparaison au sein de la zone transmanche mais permettent de brosser les grands traits de la situation transmanche. En 2012, la France comptait quelques 38 200 élevages d'équidés ce qui représentait près de 460 000 bêtes. En Angleterre, on dénombrait 550 000 propriétaires ou éleveurs de chevaux. Chaque élevage se définit par l'orientation principale de sa production à savoir, chevaux de selle, de trait, d'ânes, de poneys... Deux élevages sur trois sont spécialisés dans l'élevage de chevaux de selle destinés à la course, on dénombre deux fois plus d'élevages de trotteurs que de galopeurs. En France, même si on assiste à une baisse régulière du nombre d'élevages et cela quelle que soit la taille du cheptel, donc de l'exploitation, le pays reste une grande terre d'élevage. Cette situation est particulièrement vérifiée dans les régions Bretagne et Basse-Normandie d'où sont originaires quatre éleveurs sur dix installés en France. 1.3.2. Répartition et types d'élevage
Répartition des élevages côté français de la zone en 2012
Côté français de l'espace Manche, puisque une fois encore, les chiffres anglais font défaut, on dénombre 18 324 élevages soit 48 % du total français. Près d'un équidé sur deux en France a été élevé dans l'espace Manche côté français.
Types d'équidés produits en France en 2012
Sources : REFerences, chiffres clés 2013
38 164 équidés ont été produits et élevés en France en 2012 dont 12 385 chevaux de courses et 13 949 chevaux de selle français. Cependant le nombre d'éleveurs est en baisse et ce malgré l'évolution importante du secteur due à la loi de finance de 2004 et la loi de développement des territoires ruraux de 2005 qui toutes deux ont permis de considérer les élevages économiquement, fiscalement et socialement comme des entreprises agricoles en France. Cette baisse enregistrée depuis 10 ans concerne toutes les productions, même les races de courses. les races de trait sont un peu épargnées et quelques-unes d'entre elles voient même leurs effectifs augmenter sensiblement : c'est le cas du Trait du Nord, du Boulonnais et du Poitevin. ce regain de dynamisme est à mettre en relation avec les nouvelles orientations et nouveaux usages du cheval dans certaines régions. Concernant la structure des élevages, ces derniers sont souvent de petite taille et détiennent une à deux juments poulinières. 81 % des élevages français sont de ce type. cette petite taille des élevages s'explique par le fait qu'il s'agit rarement d'une mono-activité (seulement 15 % des élevages). Elle vient en complément d'une activité d'entraîneur, de driver, de cavaliers ou d'enseignement de l'équitation ou bien encore en complément d'un autre élevage, tel celui des chevaux de trait par exemple. Enfin, et nous y reviendrons, l'activité d'éleveur est un engagement long pour de jeunes agriculteurs, dont les résultats ne sont pas visibles avant plusieurs années. Il existe encore de grands élevages, et pour une grande majorité ce sont des structures anciennes qui ont fait leur preuve. L'activité d'élevage comprend bien évidemment la reproduction des équidés et dans ce domaine, la France compte 7 829 étalons en 2012 et près de 83 000 poulinières dont 44,8 % sont localisées dans la partie française de l'espace Manche (36 805 au total). Une poulinière sur trois vient de l'espace Manche et une sur quatre de Bretagne ou de Basse-Normandie. Cette activité génère une activité économique non négligeable, générant du chiffre d'affaires important, des emplois spécialisés et tout un tissu industriel de TPE et PME en relation avec le monde équin.
Poulinière par type de production en 2012
Sources : REFerences, chiffres clés 2013
1.4. Un secteur économique de premier planAvec près de 22,4 milliards d'euros de chiffre d'affaires pour la France et le Royaume-Uni, l'économie du cheval en général est un secteur d'activité non négligeable. En termes d'emploi, en nombre d'entreprises concernées directement ou indirectement par cette filière économique, les chiffres n'ont rien à envier à d'autres secteurs d'activités. Ce sont ainsi environ 200 000 emplois directs ou indirects et quelques 100 000 entreprises qui sont occupées dans ce domaine en France et au Royaume-Uni. Certains secteurs de la filière apparaissent plus importants en termes de rentabilité que d'autres, comme le domaine des courses hippiques par exemple. En analysant l'emploi, les entreprises, les flux financiers de cette filière, on peut prendre toute la mesure de ce secteur économique souvent méconnu du grand public. 1.4.1. Chiffre d'affaires de la filièreEn 2011, le chiffre d'affaires généré par l'ensemble de la filière équine en France s'élève à 12,3 milliards d'euros. Au Royaume-Uni, ce chiffre d'affaires atteint 10,1 milliards d'euros en 2009. Une grande part de ces résultats est assurée par le secteur des courses hippiques et des ventes de chevaux. 1.4.2. L'emploi : un secteur jeune et féminiséLa France comptait en 2012, 179 392 emplois directs et indirects dans le secteur équin. Au Royaume-Uni, ce chiffre se situe entre 220 000 et 270 000 selon les dernières données disponibles. Côté français, 126 436 emplois directs sont recensés contre 52 956 emplois indirects. Pour l'essentiel, il s'agit d'emplois agricoles ou non agricoles mais au contact du cheval, rattaché à la filière ou en liaison avec le monde équin. Près de la moitié de ces emplois sont liés aux courses hippiques. Lorsqu'il s'agit d'emplois agricoles, la structure de l'emploi est plutôt féminine et jeune, particulièrement dans les centres équestres, alors qu'elle est plutôt masculine dans le domaine des courses. La main d'œuvre change fréquemment, un tiers de l'effectif est ainsi renouvelé chaque année et dans le secteur de l'élevage ce sont souvent des stagiaires ou des apprentis qui sont employés. Enfin, la participation des bénévoles est importante, surtout dans les centres équestres. La géographie de ces emplois se calque sur les grands domaines de la filière, l'élevage et l'activité de sport-loisirs. Basse-Normandie et Pays de la Loire génèrent un quart des emplois agricoles français et dans le secteur de l'élevage, la Basse-Normandie fournie deux tiers des emplois français. Les emplois non agricoles liés à la filière se localisent pour près de 30 % d'entre eux en région Rhône-Alpes et surtout en Île-de-France. Ce dernier résultat s'explique par la présence de nombreux organismes rattachés à la filière et de nombreux points de vente du PMU dans cette région. Au Royaume-Uni, 90 % des emplois se situent en Angleterre dont 27 % des 41 220 emplois directs dans le South East et 13 % dans le South West. Comme en France, l'emploi est jeune (moins de 40 ans) et très féminisé (70 % de femmes). L'emploi jeune et féminin est un trait commun aux deux pays, emplois qui sont complétés par de très nombreux bénévoles. 1.4.3. Les entreprises de la filière61 300 entreprises étaient dénombrées en France en 2008-2009 dans la filière cheval. Elles se répartissaient ainsi : - 35 000 structures d'élevage agricole, - 7 000 structures agricoles de sport-loisirs équestre, - 1 300 associations organisatrices de manifestations (concours et courses), - 8 000 entreprises prestataires, - 10 000 établissements chargés de l'organisation des paris hippiques.
En France, ce sont quelques 5 000 centres équestres, souvent privés mais adhérents de Fédération Française d'Équitation qui dispensent de l'équitation. Ils sont accompagnés dans cette tâche par près de 1 500 fermes équestres qui comme les centres dispensent des enseignements tout en assurant le développement du tourisme équestre et en offrant des possibilités de pensions pour les équidés. Il faut enfin ajouter à ces entreprises quelques 3 000 écuries de chevaux de courses.
Ces associations, environ 1 300 en France, ont pour vocation d'organiser les compétitions équestres en partenariat avec les centres équestres, les pôles hippiques et les instances officielles. Parmi ces associations, 235 ont en charge l'organisation des courses, ce sont ce que l'on nomme des « sociétés de courses » qui gèrent les hippodromes dans lesquels se déroulent les courses hippiques.
Ces entreprises ont un lien plus ou moins direct avec le cheval. Ce sont ainsi 4 000 vétérinaires rarement spécialisés dans le seul domaine équin, qui interviennent au contact direct des équidés. Ils sont accompagnés par 1 300 maréchaux-ferrants travaillant souvent seul ou avec juste un employé. Enfin, 3 300 entreprises prestataires se répartissent entre le domaine de l'alimentation du cheval et celui de l'équipement de l'animal et de son cavalier en France.
Ce sont les plus nombreuses des entreprises de la filière avec 10 000 points de vente PMU. Au Royaume-Uni, les quelques données disponibles font état de quelques 19 000 entreprises dénombrées en 2011, essentiellement dans la partie commerciale de la filière. 16 340 sont situées en Angleterre dont 3 910 dans le South East et 2 650 dans le South West et 430 à Londres. Il faut ajouter à ces quelques chiffres près de 17 260 vétérinaires intervenant côté anglais. Toutes ces entreprises interviennent dans le marché du cheval et génèrent plus ou moins de flux financiers selon leur domaine d'activité. 1.4.4. Flux financiers et marché du cheval
La filière cheval génère des flux financiers importants quel que soit le pays concerné, France ou Royaume-Uni. Ces flux sont engendrés principalement par le domaine des courses et des paris hippiques et par la vente des produits de l'élevage. Ainsi en 2012, le poids financier de la filière atteignait 12,3 milliards d'euros en France (11,2 milliards pour la production équine et les prestataires de services et 1,1 milliard pour les entreprises connexes à la filière) et 7 milliards de livres sterling au Royaume-Uni, dont 3,7 milliards pour le seul domaine des courses. Incontestablement la filière course pèse fortement dans le chiffre d'affaires de la filière. En France, 10,2 milliards d'euros sont générés par les courses hippiques dont 9,4 milliards directement issus des paris. Sur cet énorme montant 75 % des sommes retournent aux parieurs qui misent avant tout dans le réseau des PMU (9,9 milliards d'euros) et pour le reste directement dans les hippodromes (138 millions d'euros). L'État prélève environ 12 % des mises, soit en 2012 près de 1,12 milliard d'euros. Au Royaume-Uni, les chiffres sont équivalents. 10 milliards de livres sont pariés chaque année générant un milliard de profit pour les bookmakers britanniques et permettant d'alimenter les 180 Charity Race days à hauteur de 1,8 million chaque année. En comparaison la filière sport-loisirs en France a engendré 555 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2011 et la filière viande, dont le bilan de la balance commerciale est largement négatif, ne génère que 280 millions d'euros de chiffre d'affaires, essentiellement dans les commerces de la viande équine. La filière course reste donc le principal pourvoyeur de flux financiers et permet de financer la totalité de la filière en France.
Sur les 10,2 milliards de CA généré par les courses et paris hippiques, 1,24 milliard est retourné à la filière course en 2011. Ce financement permet d'alimenter le pari mutuel, les sociétés de courses qui ont en charge la gestion des hippodromes, l'encouragement de la filière par la dotation en prix et la distribution de primes aux éleveurs et propriétaires de chevaux de courses. Les recettes issues des paris hippiques servent également au financement de l'ensemble de la filière équine via le fond EPERON, Fond d'encouragement aux projets équestres régionaux ou nationaux. Ce fond est alimenté par un prélèvement sur les enjeux de courses hippiques institués par la Fédération Nationale des Courses Françaises. Ainsi, via ce fond en 2011, la filière sport-loisirs s'est vue reverser 8 millions d'euros. Les autres modes de financement de la filière restent classiques : État, Région, collectivités locales et programmes européens.
La vente de chevaux et d'équidés en général est également source de flux financiers, le cheval étant un produit répondant comme tout produit à la loi du marché. Ainsi en 2012, 3 772 chevaux de courses ont été vendus en France. Les prix semblent en baisse, particulièrement dans de domaine des courses, même si les ventes de yearlings à Deauville chaque année, restent un évènement majeur de la vente de chevaux dans le monde et que la clientèle est toujours au rendez-vous. L'essentiel du marché du cheval concerne l'achat de chevaux de selle pour le sport-loisirs et de poneys. La race n'est pas un critère majeur du choix de l'acheteur et près de quatre équidés sur dix sont aujourd'hui achetés sur internet, par des acheteurs qui ne sont pas, en grande majorité, professionnels de la filière.
« La grande Saint-Pierre » foire annuelle de Saint-Pierre-Église, Manche (50)
© Guy Milledrogues, 2005.
Le cheval est une activité économique majeure de la zone transmanche. Elle façonne les paysages et représente pour de nombreuses régions de l'espace Manche une spécificité forte. Les activités autour du monde du cheval sont nombreuses et variées et parfois même antagonistes, renvoyant l'image d'une filière peu structurée, parfois déséquilibrée. Le monde du sport-loisirs côtoie celui des courses et celui de la boucherie chevaline faisant se juxtaposer des usages différents, des enjeux différents. Chaque domaine possède son organisation interne, ses organismes de tutelle, ses clientèles particulières. Parler de filière semble alors une gageure, mais c'est pourtant ainsi que les professionnels et les amoureux du monde équestre souhaitent aujourd'hui se positionner. Mieux comprendre ces "sous-filières" est un enjeu important pour répondre aux changements en cours et à venir de cette filière équine. 2. Structuration de la filière équineLe cheval suscite une engouement du public qui ne se dément pas comme en témoignent les 565 000 visiteurs venus assister aux Jeux équestres mondiaux 2014 en Basse-Normandie. Cette passion du cheval portée par les cavaliers, les entraîneurs et les éleveurs est un trait marquant de cette filière économique dont le poids financier se chiffre en plusieurs milliards d'euros, en France comme en Angleterre. Pourtant cet enthousiasme commun autour de l'animal, autour des manifestations ou des spectacles équestres masque une grande diversité au sein même de la filière. Cette filière équine que les professionnels s'accordent à trouver peu structurée et manquant d'une certaine cohérence est organisée en quatre sous-filières aux intérêts parfois divergents, aux acteurs et aux clients spécifiques. Peut-on réellement dans ces conditions parler de filière ? Le cheval est un produit qui connaît tout au long de sa vie des transformations successives par les différents acteurs de la filière. Pour l'éleveur, il est un produit fini alors que pour le centre équestre ou l'hippodrome, il est un outil de production. Le cheval n'a pas un usage déterminé à sa naissance, cet usage varie dans le temps comme varient également les clientèles, les services et prestations qui y sont associés selon les trois sous-filières principales qui caractérisent l'ensemble de la filière équine : la course, le sport-loisirs et la boucherie. En s'intéressant à ces sous-filières dans leurs productions, les organismes qui les structurent et les usages et clientèles qui les définissent, il est alors possible de mesurer toute la complexité de la filière équine, d'en dresser un rapide bilan et de révéler les faiblesses d'ores et déjà identifiées par les professionnels. Ces derniers ont également émis des propositions de remédiations qui seront exposées dans la suite de cette analyse, lors des première Assises de la filière équine en septembre 2014, à Caen. Enfin, précisons que l'activité cheval n'existe en tant que filière uniquement du côté français de la Manche, l'analyse portera donc essentiellement sur la partie française et sera ponctuée quand cela est possible de comparaison avec l'Angleterre, lorsque la donnée est encore une fois disponible. 2.1. Le domaine des sports et loisirs2.1.1. Équidés, usages et usagersLe domaine des sports et des loisirs équestres utilisent des chevaux de selle, des poneys, des ânes et des chevaux de course déclassés. Généralement les animaux utilisés ne présentent pas d'aptitude à la course et restent en élevage jusqu'à l'âge de 3 ans, puis ils sont débourrés pour des usages très variés : agrément, promenades et randonnées, enseignement, spectacles et compétitions. Dans ce dernier cas, les chevaux sont entraînés pour des disciplines olympiques établies : le saut d'obstacles, le dressage et le concours complet. D'autres disciplines viennent s'ajouter à celles énumérées précédemment, comme l'endurance. Cette sous-filière compte quelques 310 000 équidés en élevage et 220 000 chevaux, 50 000 poneys et 40 000 ânes. C'est de loin l'une des plus importantes de l'ensemble de la filière équine. La clientèle est composée essentiellement de pratiquants réguliers ou occasionnels et de propriétaires. 2.1.2. Les organismes structurants les sports et loisirsQuatre organismes ou associations interviennent dans cette sous-filière : les associations de races, la société hippique française, la Fédération française d'équitation et la Conseil des chevaux.
2.1.3. Équipements et structures dédiés aux sports-loisirsEn France, ce sont près de 5 000 centres équestres auxquels viennent s'ajouter associations et fermes équestres qui permettent la pratique de l'équitation et accueillent des animaux en pension. En 2013, on dénombrait sur le territoire métropolitain 8 663 établissements équestres au total dont presque un tiers d'associations équestres qui accueillent l'ensemble des pratiquants. 2.1.4. Les pratiquantsEn 2013, la France comptait 683 076 cavaliers, soit un Français sur 100. Au Royaume-Uni, les estimations avancées tablent sur 4,3 millions de cavaliers, mais ce chiffre doit prendre en compte les cavaliers occasionnels, randonneurs et promeneurs. Côté français, on compte 290 049 cavaliers soit 42,6 % du total français. En nombre brut de licenciés, l'Île-de-France et la région Rhône-Alpes arrivent en tête, mais si on rapporte le nombre de licenciés à la population de la région, la Normandie et la Picardie arrivent en tête.
Répartition des cavaliers dans les régions françaises (2011)
Sources : REFerences, chiffres clés 2013.
2.2. Le domaine des courses2.2.1. Équidés, usages et clientèles spécifiquesLe domaine des courses utilisent des chevaux Pur Sang qui sont soit trotteurs, soit galopeurs. Ces chevaux destinés à la course sont en élevage jusqu'à leurs 18 mois puis ils sont débourrés et mis à l'entraînement afin de les spécialiser, selon leurs aptitudes, au trot, au galop, à la course de plat ou d'obstacles. La carrière d'un cheval de course est relativement courte (entre 2 et 10 ans selon leur spécialité) car le cheval peut souffrir de traumatismes mettant un terme à sa carrière. Il peut alors prendre « sa retraite » dans la filière sport-loisirs en tant que cheval de promenade ou d'enseignement par exemple. Il peut également rester dans la filière course en tant que reproducteur, ou bien si sa santé est défaillante, intégrer la filière boucherie. Le cheval de course, produit d'un élevage et d'un entraînement est également un outil de production au sein même de cette sous-filière car il est à la base des paris ou de la reproduction par exemple. La clientèle de cette sous-filière peut être définies en trois grands groupes :
2.2.2. Organisation de la sous-filière coursesEn France, ce domaine spécifique de la filière équine est également celui de quatre grandes organisations : la Société d'encouragement à l'élevage du cheval français (SECF), France Galop, la Fédération nationale des courses françaises et le Pari mutuel urbain, plus connu sous l'acronyme de PMU. Au Royaume-Uni, le British Horse Authority est plus particulièrement dédié à cette partie du domaine équestre.
2.2.3. Hippodromes et entraîneursEn 2012, la France comptait 3 000 écuries de chevaux de courses, soit 2 811 entraîneurs déclarés. 11 438 chevaux étaient déclarés comme étant à l'entraînement pour le galop et 16 701 pour le trot. Cette dernière discipline est la plus répandue et deux tiers des écuries sont spécialisées dans le trot. Dans le galop, les entraînements sont également spécialisés entre le plat et l'obstacle. Au Royaume-Uni, on estime à entre 14 000 et 15 000 le nombre de chevaux à l'entraînement. 9 500 propriétaires de chevaux de courses sont identifiés et 50 000 en tant que co-propriétaires d'un ou plusieurs chevaux de courses. 7 entraîneurs sur 10 sont installés côté français dans l'espace Manche, dont 1 sur 5 dans la région Basse-Normandie.
Répartition des entraîneurs dans les régions françaises (2011)
Sources : REFerences, chiffres clés 2013.
En terme d'équipements, 235 sociétés de courses ont en charge les 242 hippodromes en activité en France. les activités de ces équipements sont très variables, ainsi les trois quarts des hippodromes organisent moins de 10 réunions par an, et un hippodrome sur trois organise seulement une à deux réunions annuelles. La localisation des hippodromes suit la géographie des activités d'élevage et d'entraînement des chevaux puisque un hippodrome sur deux est situé en Basse-Normandie, en Bretagne ou dans les Pays de Loire. 18 222 courses ont été organisées en 2012 en France dont 11 088 en trot, 4 878 en plat et 2 256 en obstacles. La France occupe une très bonne position dans l'organisation des courses au niveau européen et mondial. Elle se positionne ainsi en seconde position pour les courses d'obstacles, en 4e pour le trot et en 6e pour le plat. Côté anglais, le Royaume-Uni détient la première place pour les courses d'obstacle et la 4e pour le plat. Les courses au Royaume-Uni se déroulent dans l'un des 59 hippodromes disponibles. 19 sont réservés au plat et 24 au saut d'obstacles, les autres pouvant être utilisés pour l'une ou l'autre des disciplines. Quatre hippodromes permettent de courir par tous les temps, Kempton Park, Lingfield Park, Southwell et Wolverhampton. Enfin le premier hippodrome anglais se situe dans l'Essex, il s'agit de Great Leighs. Le domaine des courses apparaît bien structuré au regard des organismes gestionnaires de la filière. Le trot domine en nombre et encore une fois l'espace Manche s'illustre par ses atouts dans ce domaine. 2.3. La boucherie chevaline2.3.1. Races, consommation et échangesLa sous-filière viande est avant tout une filière marchande qui répond à l'offre et la demande du marché. Les chevaux ou équidés élevés pour l'alimentation sont essentiellement des chevaux de traits ou des ânes. Ils font fréquemment l'objet d'exportation pour être engraissés hors de France et sont ensuite importés pour la consommation. En 2012, 18 528 équidés ont été abattus en France et ce nombre est en baisse depuis une dizaine d'années. Le scandale alimentaire autour de l'importation et l'utilisation de viande chevaline n'a fait qu'accentuer cette tendance. Ainsi la consommation moyenne française ne dépasse pas 0,3 kg par habitant et par an. 49 % de la viande est exportée en Italie et 24 % vers l'Espagne alors que les importations proviennent essentiellement du Benelux (78 %) ou de Suisse (10 %). 2.3.2. Organismes de la sous-filière viandeUn organisme structure la filière viande chevaline. Il s'agit d'Interbev Equins, une interprofession du bétail et des viandes qui rassemble les organismes représentatifs des productions, commerçants, coopératives, industriels, bouchers chevalins et distributeurs. 3. Bilan de la filière équine
Manche (50, Normandie (France) - © Guy Milledrogues, 2005
3.1. Changements et constatsL'image du cheval a évolué au cours des siècles et plus particulièrement ces dernières années avec la démocratisation de l'équitation et la sensibilisation de nouveaux publics aux activités équestres. De nouveaux usages apparaissent, particulièrement dans l'usage des chevaux de trait pour le transport, l'entretien et la sécurité, voire même la thérapie. Parallèlement à ces pratiques, plus économes et respectant l'environnement (débardage, transport de publics, patrouilles montées), l'État s'est désengagé progressivement de la filière. L'exemple le plus révélateur de cette évolution a concerné les Haras nationaux qui ont vu progressivement évoluer leurs missions. Fournisseurs et éleveurs de chevaux pour l'État et ses différents besoins (armée, Garde nationale, transport) durant des siècles, ils ont été remplacés par les moyens modernes de transport. Dès lors les Haras nationaux ont perdu une partie de leurs activités. Depuis 1999, les Haras nationaux sont des établissements publics à caractère administratif dont les nouvelles missions sont l'accompagnement des entreprises de la filière équine. cela passe par la sécurité alimentaire et la veille concernant la traçabilité des animaux, la régulation génétique et le contrôle des races équines, l'appui au développement des entreprises et l'aide à la recherche, la formation du grand public et l'expertise territoriale pour les collectivités. En complément de cet acteur public majeur de la politique du cheval en France a été créé en 2010, l'Institut français du cheval qui regroupe les Haras nationaux et l'École d'équitation. Cet organisme a pour vocation première de renforcer les synergies entre les différentes structures publiques. Cependant, la structuration de la filière reste encore à renforcer. Ces établissements participent à ce besoin de cohérence mais des efforts restent à faire. D'autre part depuis le 6 avril 2010, une décision de l'Union européenne a mit fin au monopole du PMU et libéraliser les paris en ligne. Même si le PMU a développé une politique offensive de paris en ligne, c'est en fait toute la filière qui tremble car son financement repose sur les gains des paris engendrés par le PMU et non par d'autres opérateurs de paris et jeux en ligne. L'enjeu est important et les années à venir seront déterminantes. Les joueurs et parieurs vont-ils changer leurs habitudes ? Quel manque à gagner cela va t-il représenter pour la filière ? Ces interrogations légitimes viennent s'ajouter à des problèmes internes à la filière. 3.2. Problèmes identifiés et remédiations envisageablesLors des Assises de la filière équine en septembre dernier, première manifestation de ce genre, organisée dans la continuité des Jeux équestres mondiaux, nous avons pu entendre les professionnels exposer les problèmes auxquels ils sont aujourd'hui confrontés ainsi que les solutions qu'ils préconisent. Reformulés sous la forme du tableau ci-dessous, les avis et propositions ne sont que le fruit d'une journée d'échanges mais reflètent assez justement les difficultés de la filière. 3.2.1. La filière équine : une véritable filière ?
La filière équine est une branche économique majeure de l'espace Manche. Emplois, entreprises, associations structurent la filière et façonnent les territoires transmanche. Le cheval est partout présent, et plus particulièrement en Normandie et en Bretagne et dans les comtés du sud anglais. La zone transmanche porte également ses hommes et ses femmes amoureux de ce noble animal qu'est le cheval. Éleveurs, entraîneurs, vétérinaires, biologistes, chercheurs, cavaliers de tous poils, ils participent chacun à leur manière, de près ou de loin, au développement et à la construction d'une grande filière cheval. La route est longue et la diversité du secteur équin est tel que la mise en place d'une filière structurée est rendue complexe. Les acteurs ont souvent des objectifs divergents et parfois antagonistes, entre un cavalier et un artisan boucher le dialogue est parfois compliqué... Les clientèles évoluent, le cheval se démocratise, le marché international change, de nouveaux producteurs asiatiques, du Proche et Moyen-Orient prennent place sur la scène équestre mondiale. Tous ces paramètres sont difficiles à appréhender et parfois même à affronter lorsque l'on est un petit éleveur de quelques chevaux de l'Orne ou du Dartmoor. L'organisation en filière est un atout indéniable, une force pour marcher d'un même pas et parler d'une seule voix. Pour le moment cette filière n'existe que côté français. Penser l'activité cheval à l'échelle de la zone Manche pourrait être un atout car dans peu d'endroit au monde, le cheval est autant ancré dans les territoires, dans les activités, dans les mentalités que dans cette zone transfrontalière maritime. Travailler ensemble à la structuration d'un seul et même espace « cheval » dans l'espace Manche pourrait constituer la seconde étape d'un processus « filière » d'ores et déjà bien engagé côté français, un nouveau défi à relever pour ces hommes et ces femmes dévoués à leur passion.
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