Agriculture, Pêche, ÉlevageAgriculture, Pêche, Élevage
 
Structures agraires et orientations agricoles - 2020
Auteur : Frédérique Turbout

L'agriculture dans l'espace Manche reste une activité économique majeure même si elle est distancée en nombre d'emplois par les autres secteurs d'activités, notamment celui des services. Les espaces qui bordent cette petite mer de la Manche restent profondement ruraux comme en témoigne la variété des paysages français et anglais dans ce domaine.

Typique, riche, diversifié sont autant d'adjectifs qui peuvent caractériser ce secteur agricole transmanche, mais il faudrait, pour rester objectif, y associer les constats suivants : en crise, en baisse, en manque d'attractivité. Car si la variété des productions est un atout dans la zone, les résultats masquent parfois une crise des vocations, un profond malaise du monde agricole qui n'épargnent pas les rives de la Manche. Aujourd'hui, de part et d'autre les évolutions sont analogues et les difficultés de la filière font parfois oublier le potentiel de ces terroirs, leurs richesses mais aussi leurs excellences reconnues.

Quel est aujourd'hui l'état de cette agriculture de part et d'autre de la Manche ? C'est en suivant ce fil conducteur que les questions d'évolutions des structures agraires, de productions agricoles régionales et d'élevage seront abordées. Dans un contexte de Brexit, ou l'alimentation du marché britannique pose desquelques difficultés, il est bon de s'interroger sur ces évolutions et les orientations technico-économiques des campagnes transmanche. 

1. Structures agraires dans l’espace Manche

1.1 Des superficies en hausse 

Hormis le South East, dont une grande partie du territoire régional est occupé par de grandes zones urbanisées et périurbanisées, les superficies dédiées à l’activité agricole représentent quelques 100 000 km² dans les régions de l’espace Manche, soit une superficie presque équivalente à la totalité de l’Islande. Incontestablement, la zone transmanche représente un espace agricole majeur de l’Europe du nord-ouest. Cependant les superficies dédiées à l’agriculture ont depuis quelques décennies, eu tendance à se restreindre peu à peu, grignotées par l’extension des zones urbaines. Si cette dernière impacte fortement les paysages des campagnes transmanche, la réduction des superficies agricoles témoigne des difficultés de ce secteur d’activité. En l’espace de 18 ans, les surfaces agricoles des exploitations transmanche se sont réduites de près de 3000 km², l’équivalent de la moitié du département de la Savoie. En moyenne, ce sont 46 hectares qui sont abandonnés chaque jour à d’autres activités. Ce grignotage de la SAU n’est pas propre à la région, il est une réalité de nombre de territoires, souvent par manque de repreneurs où parce que les exploitations cessent leur activité pour raisons économiques. 

Tableau n°1 : SAU des exploitations

 Régions

SAU des exploitations

Nombre d'exploitations

 2018

 2000

 Evolution 2000-2018

 2018

 2000

Evolution 2000-2018

Nombre

%

Hauts-de-France

2132119

2143821

-11702

25729

34898

-9169

26,2

Normandie

1965135

2058735

-93600

29822

52017

-22195

42,6

Bretagne

1624914

1701383

-76469

31448

51219

-19771

38,6

South West

1763963

1756078

+7885

25912

39552

-13640

34,5

South East

1112773

1175911

-63138

13092

20682

-7590

36,7

East of Anglia

1389773

1456187

-66414

11793

18906

-7113

37,6

Total

9988677

10292115

-303438

137796

217274

-79478

36,5

Source : RGA, 2018.

1.2. Des exploitations en baisse 

Dans le même temps, chaque jour, 12 exploitations cessent leur activité dans l’espace Manche. Ainsi entre 2000 et 2018, 13200 exploitations ont disparu dans les régions transmanche. Cette « hémorragie » de terres et d’hommes est particulièrement importante côté français de l’espace Manche. Entre 2000 et 2018, la Normandie a ainsi perdu près de 93600 hectares de terres cultivées et quelques 22195 exploitations agricoles. Départ en retraite sans repreneurs et faillites expliquent ces mauvais résultats et illustrent la crise profonde que connaît le monde paysan depuis de nombreuses années. Si le cas normand est emblématique de ce mal-être, il n’est pas un cas isolé.

En Bretagne, les surfaces se sont réduites de presque 76500 hectares et 19771 exploitations ont disparues en 18 ans.

Bretagne et Normandie, les deux plus grandes régions agricoles de l’espace Manche, sont également celles qui enregistrent les plus mauvais résultats de la zone. Dans les régions anglaises, les situations sont différentes. Ainsi dans le South West, région moins urbanisée et plus rurale que sa voisine, les superficies dédiées à l’agriculture progressent de 7800 hectares soit l’équivalent de la superficie de l’île de Guernesey. C’est bien peu, mais c’est la seule région de la zone transmanche à enregistrer une augmentation de sa superficie agricole.

Autre différence avec la situation française, le nombre d'exploitations baisse mais cette tendance est moins importante qu'en France. Dans les régions anglaises du South West, South East et East of Anglia, on dénombrait 50 797 exploitations en 2018, soit 28 343 exploitations de moins qu'en 2000. Considérons à nouveau la région du South West : 34,5 % des exploitations ont disparu entre 2000 et 2018, une exploitation sur 3 a disparu en l'espace de 18 ans. Les évolutions sont identiques dans les deux autres régions anglaises de l'espace Manche. Côté français, la situation est analogue avec un triste record dans la zone, détenu par la Normandie où 42,6 % des exploitations ont disparu entre 2000 et 2018, soit un peu moins d'une exploitation sur deux. Pour l'ensemble de l'espace Manche, ce sont plus du tiers des exploitations présentes en 2000 qui ont disparu. 

1.3. Mais des exploitations plus grandes 

Superficies dédiées à l'activité agricole en baisse, nombre d'exploitations divisé par trois, la crise du monde agricole est une réalité bien tangible dans l'espace Manche. Pour autant, les changements ne sont pas très négatifs et s'illustrent dans les tailles des exploitations. Entre 2000 et 2018, les exploitations ont vu leurs superficies moyennes doubler. La tendance est donc a une réduction des exploitations alors qu'en parallèle, celles restant en activité ont vu leur taille fortement augmenter. C'est en Normandie que la taille moyenne des exploitations a le plus augmenté, 57,5 % de hausse de la SAU, soit plus de 20 hectares supplémentaires par exploitation. Ces agrandissements des exploitations normandes peuvent s'expliquer par les rachats de terre auprès d'agriculteurs cessants leurs activités.

Ce constat est général et concerne la totalité des exploitations agricoles transmanche, tant en France qu'au Royaume-Uni. 

Tableau n°2 : Superficies moyennes des exploitations (hectares)

Régions

2000

2018

Evolution (%)

Hauts-de-France

62

83

33,8

Normandie

40

63

57,5

Bretagne

34

52

53

South West

44

68

54,5

South East

 

85

 

East of Anglia

77

118

53,3

Total

257

469

50,42

Moyenne

51,4

78,1

 
Source : RGA, 2018.

Les structures agraires ont donc évolué fortement en l'espace d'une vingtaine d'années. Elles ont poursuivies sur une voie ouverte depuis la fin des années 1990 de concentration des exploitations et / ou de disparitions, illustrant les crises que connaît le monde agricole.  

2. Une profonde crise des vocations 

L'espace Manche n'est pas plus épargné que les autres régions en France ou en Angleterre concernant l'emploi agricole. Le métier dur et exigeant laisse peu de place aux distractions dans nos sociétés où les loisirs sont considérés comme incontournables. La crise que connaît le monde agricole est due en partie à cette désaffection pour la profession d'agriculteur. Peu de jeunes sont disposés à s'engager dans cette voie et dans un métier de plus en plus complexe et spécialisé. De plus, la reprise d'une exploitation ne va plus de soi et nombre d'exploitations disparaissent, faute de successions.

Dans l'espace Manche, force est de constater que l'emploi agricole est en baisse constante. 

Tableau n°3 : Evolution de l'emploi agricole entre 1970 et 2015

 Régions

Nombre d'emplois

 1970-2015

 2000-2015

1970

2000

2015

Hauts-de-France

213487

75554

53295

-160192

-22259

Normandie

261499

94179

61230

-200269

-32949

Bretagne

368691

99644

61055

-307636

-38589

Sous total France

843677

269377

175580

-668097

-93797

South West

nd

70674

64227

nd

-6447

South East

nd

50194

46797

nd

-3397

East of Anglia

nd

47108

40698

nd

-6410

Sous total Royaume-Uni

nd

167976

151722

nd

-16254

Total espace Manche

nd

437353

327302

nd

-110051

Source : RGA, 2018. 

Si les données ne permettent pas de dresser l'évolution sur le long temps de l'emploi agricole côté anglais de l'espace Manche, côté français, on peut mesurer l'ampleur de la baisse de l'emploi agricole depuis 1970. En presque un demi-siècle, dans les trois régions françaises de l'espace Manche, 668 097 emplois ont disparu. À titre de comparaison, ce chiffre correspond à un peu plus que l'équivalent de la population totale de l'unité urbaine de Nantes en 2018. En Normandie, en 1970, l'emploi représentait près de 4,5 % des emplois ; en 2015, ce rapport est descendu à 1,5 %. En Bretagne, la part de l'emploi agricole est passée de 11 % en 1970 à 2 % en 2015. Dans les Hauts-de-France, la situation est similaire, l'emploi agricole est passé de 1,1 % en 1970 à 5 % en 2015.

La région où la baisse a été la plus importante est la Bretagne avec une chute de 83,5 % entre 1970 et 2015. En Normandie, cette baisse a atteint 76,5 % et dans les Hauts-de-France, 75 %.

Ces baisses impressionnantes illustrent la crise que connaît le monde paysan depuis plus de 40 ans et les profonds bouleversements de la société française et de ce secteur d'activités.

Entre 2000 et 2015, dans l'espace Manche, le monde agricole a perdu plus de 110 000 emplois, cependant le trait saillant de ces quinze années est l'écart existant entre les régions françaises et anglaises. Entre 2000 et 2015, 16 254 emplois agricoles ont disparu dans les régions anglaises de l'espace Manche alors que côté français, ce sont près de 93 797 emplois qui ont disparu. Au final, le nombre d'emplois est passé de 437 353 à 327 302 en 2015.

Ces quelques données sont une nouvelle fois l'illustration de la crise du monde agricole. Si depuis les années 1970, les baisses enregistrées dans l'emploi agricole sont le fait d'une amélioration des conditions de travail avec un recours à une mécanisation des pratiques culturales, une amélioration des rendements et de profonds changements de l'ensemble de l'activité et des systèmes de cultures, les résultats enregistrés entre 2000 et 2015 sont plutôt et avant tout le résultat d'une crise des vocations et d'une désaffection des jeunes générations pour les métiers de l'agriculture. Cela ne remet pas en cause l'importance des régions de la zone transmanche dans la production agricole française et anglaise.

Les orientations agricoles des régions transmanche offrent une grande diversité de productions qui ne reflète en rien les mauvais résultats des évolutions de l'emploi agricole ou bien encore de l'évolution des superficies dédiées à l'agriculture. 

3. Orientations culturales des régions transmanche 

Les régions transmanche présentent une variété culturale, hors cultures céréalières classiques et destinées à l'élevage, qui est due essentiellement à la douceur du climat océanique et à l'influence du Gulf Stream. Les paysages alternent entre openfields et bocages, permettant la pratique de cultures céréalières et oléoprotéagineuses courantes telles que le blé tendre, l'orge et le colza ou de cultures plus spécialisées. Le blé tendre domine partout, tant en tonnages qu'en superficies dédiées avec un total en 2018 de près de 6,5 millions de tonnes produites sur 2,4 millions d'hectares. L'orge, notamment dans les Hauts-de-France et l'East of Anglia, arrive en seconde position avec 5 millions de tonnes produites en 2018, suivi par le colza (2 millions de tonnes).

Faute de données disponibles côté britannique, le maïs en grain et les fourrages ne permettent pas d'afficher une quantité globale produite, cependant cette culture apparaît majeure en terme de superficies occupées en France comme en Angleterre. Côté français, cette culture d'élevage génère 1,7 millions de tonnes en 2018. Il y a fort à parier que les résultats sont proches côté anglais. L'avoine est également une culture qui domine le sud anglais avec plus de 335 000 tonnes produites en 2018. Cette céréale entre dans la fabrication de la bière et de spécialités britanniques, comme le fameux porridge. Elle sert également à l'alimentation fourragère animale, notamment celle des chevaux.

De part et d'autre de la zone transmanche, les cultures légumières de pleins champs ou sous serres, les vergers et les cultures horticoles du sud anglais alternent avec espaces dédiés à l'élevage au cœur des paysages bocagers. Les zones de plaines sont, quant à elles, dédiées aux grandes cultures céréalières ou industrielles. Parmi ces dernières, la betterave sucrière tient une place de choix. C'est là une particularité des régions Normandie et Hauts-de-France, la culture de la betterave génère 23,9 millions de tonnes et occupe 276 500 hectares, soit presque 7 % de la SAU (11 % pour les seuls Hauts-de-France). À cette culture destinée à l'industrie sucrière, il faut ajouter la culture du lin dont les superficies dédiées sont passées en 2000 de 33 000 hectares et 224 000 tonnes de production totale à 73 000 hectares et 528 000 tonnes en 2019 en Normandie, principale région de production de cette petite fleur bleue fragile destinée à l'exportation vers les ateliers textiles asiatiques.

Au total, les régions de la zone transmanche produisent 28,7 millions de tonnes de céréales et oléoprotéagineux couvrant 43 % des surfaces agricoles cultivées. Les cultures industrielles et légumières couvrent un peu moins de 10 % de la SAU. 

Tableau n°4 : Principales cultures en région (situation 2018) 
    Tonnages (tonnes) Superficies dédiées (ha.)
Bretagne
Céréales et oléoprotéaginaux Blé tendre 2 024 701 297 150
Maïs grain 1 139485 122 563
Orge 626 818 96 401
Colza 182 035 53 600
Cultures industrielles Betteraves 25 324 331
Lin 234 35
Légumes frais Pommes de terre 380 383 11 616
Choux fleurs 219 241 13 960
Tomates 169 547 535
Haricots verts 82 350 6 354
Vergers     2684
Normandie
Céréales et oléoprotéagineux Blé tendre 3 591 281 465 840
Orge 765 136  112 610
Colza 445 033  135 790
Maïs grain 224 263  25 205
Cultures industrielles Betteraves 3 753 505  42 730
Lin 421 309  64 810
Légumes frais Pommes de terre 632 774  18 340
Carottes 84 372  1 645
Poireaux 42 921  1 162
Choux 20 081  803
Vergers     8 172
Hauts-de-France   
Céréales et oléoprotéagineux    Blé tendre  6 844 249 809 010
Orge  1 202 194 160 460
Colza  586 865 162 215
Maïs grain  407 608 48 890
Cultures industrielles   Betteraves  20 117 824 233 770
Lin   240923 36 320
Chicorée  73 574 1 558
Légumes frais    Pommes de terre   4 801 975 119 606
Endives  405 030 7 800
Petits pois  170 490 28 294
Oignons  134 620  3 927
Vergers      2 292
South West
   
Céréales et oléoprotéagineux
   
Blé tendre 1 208 964  156 181
Orge  725 186  130 710
Colza  177 768  53 566
Avoine  123 868  24 311
Cultures industrielles Betteraves  nd  2 316
Légumes frais
   
Haricots  nd  11 229
Cultures légumières de plein champs  nd  8 208
Pommes de terre  nd  7 825
Petits pois  nd  3 250
 Vergers      3 368
South East
   
Céréales et oléoprotéaginaux Blé tendre 1 686 124 209 182
Orge 626 644 109 909
Colza 244 013 74 183
Avoine 116 918 24 101
Cultures industrielles Betteraves nd 611
Légumes frais Haricots nd 26 270
Cultures légumières de plein champs nd 8 217
Petits pois nd 5 960
Pommes de terre nd 3 262
Fruits nd 4 726
Vergers     9 211
East
Céréales et oléoprotéagineux  Blé tendre 3 601 118 446 258
Orge 1 106 465 187 150
Colza 379 632 109 204
 Avoine 94 570 21 061
Cultures industrielles Betteraves nd 70 814
Légumes frais Haricots nd 48 716
Pommes de terre nd 36 818
Cultures légumières de plein champs nd 24 266
Fruits nd 1 506
Vergers     1 718
Sources : RGA, DEFRA, 2018.
 
Carte n°1 : orientations technico-économiques des communes françaises 2016
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 Carte n°2 : orientations technico-économiques des parishes anglais du South West 2016
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Les légumes frais et les pommes de terre sont également une culture caractéristique de la zone ; la diversité des productions bénéficient de la douceur climatique et de l'influence du Gulf Stream, permettant même dans le sud anglais ou en Bretagne, des cultures horticoles, voire viticoles.

Cette variété de productions en plein champs ou sous serres témoignent de la richesse agricole de la zone transmanche. Il faut y associer l'élevage, activité majeure, souvent principale, parfois secondaire à ces systèmes de polycultures. 

4. Des régions d'élevage 

L'élevage tient une place de choix dans l'organisation des systèmes agraires de l'espace Manche. Associé à la polyculture, tantôt dominant, tantôt complémentaire, cet élevage se caractérise par la part importante que prend l'élevage hors-sol. En nombre de têtes, les volailles sont majoritaires et leur nombre dépasse les 10 millions de têtes dans toutes les régions transmanche. Les productions sont transformées sur place via une industrie agro-alimentaire régionale puissante. Cet élevage de volailles cohabite avec un élevage hors-sol porcin important s'appuyant sur une industrie de transformation régionale performante. À ces deux types particuliers s'ajoute un élevage traditionnellement présent, celui des bovins, et notamment des vaches laitières. Côté britannique, la configuration est quasiment identique si ce n'est que l'élevage ovin tient également une place de choix, notamment dans le South West. Enfin, une région s'illustre par un type d'élevage particulier, la Normandie, où l'élevage équin en fait la région privilégiée du cheval en France.

Au total, sur l'ensemble de la zone, ce sont quelques 213,5 millions de têtes de bétail qui sont élevées, dont près de 73 % sont des volailles.

Tableau n°5 : L'élévage transmanche – Nombre de têtes du cheptel - 2019 
Régions Nombre de têtes de bétail (millions)
Bretagne 108,7
Normandie 13,4
Hauts-de-France 17,4
South East 17,7
South West 25,7*
East 30,6
Total 213,5
Sources : RGA, DEFRA, 2018. * données 2018
 

Sur les 87,4 millions de têtes restantes, les bovins sont près de 7,5 millions de têtes, dont 2,1 millions sont destinées à l'élevage laitier. 

En Normandie et en Bretagne, l'élevage est une activité agricole majeure. Ce qui retient l'attention est bien évidemment le poids de l'élevage avicole, surtout en Bretagne où leur nombre atteint les 100 millions de têtes. Élevage avant tout hors-sol et intensif, il sert à alimenter non seulement le marché français mais également les marchés moyen-orientaux après transformation dans les nombreuses entreprises agro-alimentaires locales. En Normandie, on est bien en deçà du cheptel breton, et même de celui des Hauts-de-France mais ce type d'élevage reste toutefois majoritaire, et cela quelle que soit la région de l'espace Manche considérée.

Autre élevage intensif hors-sol caractéristique de la Bretagne, celui des porcs qui occupe une place de choix et place la région en tête de la zone avec près de 7,5 millions de têtes en 2019, soit près de 73 % de l'élevage porcin transmanche.

En Normandie, sur les 13,3 millions de têtes de bétail, 10,4 millions sont des volailles, 2,1 millions des bovins, et 96 700 des équidés. Ce dernier type d'élevage représente trois fois plus de têtes que dans la totalité des autres régions transmanche, faisant ainsi de la Normandie, la première région d'élevage d'équidés de la zone.

Dans les autres régions, les différents types d'élevage sont plutôt équilibrés et si l'élevage ovin domine dans les deux régions du sud anglais, l'élevage bovin reste la norme.

En analysant l'évolution de l'élevage côté français, on observe une tendance à la baisse des cheptels qui peut s'expliquer par l'importante disparition des exploitations agricoles, faute de repreneurs, notamment côté français.

Côté anglais, dans le South East, région qui supporte la zone d'influence de la mégapole londonienne, les phénomènes de périurbanisation et de rurbanisation grignotent peu à peu, les maigres espaces dédiés à l'activité agricole qui subsiste encore. La pression sur les terres est forte et en l'espace de 20 ans, les cheptels se sont réduit de près de 20 %. Avec 12, 7 millions de têtes en 2019, dont plus de 10,8 millions de volailles majoritairement hors-sol, le South East est la région qui pratique le moins l'élevage de la zone transmanche.

À l'inverse, sa voisine de l'ouest se classe en troisième position des régions transmanche avec un cheptel de près de 25,7 millions de têtes, même si une nouvelle fois, le poids de l’élevage de volailles fausse les chiffres, puisque cet élevage regroupe quelques 20,2 millions de têtes. Mais dans ces deux régions, l'élevage d'ovins, peu développé côté français de la zone, est important avec quelques 4,4 millions de tête réparties entre les deux régions du Sud anglais. Cet élevage représente ainsi 58,9 % des têtes de bétail dans le South West et 65,7 % dans le South East, hors élevage avicole.

Sur les 210,5 millions de têtes de bétail présents dans la zone transmanche, plus des trois quarts concernent l'élevage avicole. Les quelques 23,8 millions restants se répartissent entre les productions classiques de bovins, porcins, ovins, caprins et équidés.

Indissociable de la polyculture, l'élevage reste une activité agricole majeure dans la zone dont les particularismes tiennent à l'histoire des terroirs, aux marchés et aux possibilités de transformation locaux, mais aussi aux conditions climatiques qui favorisent ce type de pratiques. 

L'agriculture et les activités qui y sont associées marquent de leurs empreintes les paysages de l'espace Manche, qu'ils soient sillonés de haies ou ouverts en vastes plaines. La variété des productions, nombreuses notamment côté français, leur excellence reconnue dont témoignent les appelations classées sont un atout indéniable de l'espace Manche. L'industrie agro-alimentaire ne s'y est pas trompée, elle est l'un des grand employeur des régions françaises de ce côté de la Manche. Elle se fait le relais des productions issues de l'élevage ou de la culture des primeurs, de ces cultures industrielles très caratéristiques de la zone, comme la betterave sucrière ou celles plus originales, comme les fleurs côté anglais, où bien encore le lin en Normandie. Les conditions climatiques permettent cette richesse de terroirs. L'elevage n'en est pas absent et s'il reste traditionnelement orienté vers la production de lait et de viande, il prend des formes intensives avec le hors-sol et notamment dans le secteur avicole. Cela n'est pas sans conséquence sur l'environnement, les algues vertes en sont une dangereuse expression.

A l'échelle de l'espace Manche, l'agriculture est un secteur d'activité qui n'est plus dominannt comme ce fut le cas dans la plupart des sociétés d'avant Seconde Guerre mondiale, et l'écart entre les forces vives de ce monde agricole en France et au Royaume-Uni est criant, mais l'agriculture reste un marqueur fort des sociétés littorales transmanche, de son patrimoine et de sa culture, au même titre que la pêche.


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