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La notion de maritimité
Auteur : Maud Lucas

La notion de maritimité est apparue récemment, au début des années 1990. Au-delà d'une approche physique, biologique ou économique de l'espace maritime, les chercheurs incluent de nouveaux champs d'études, notamment la relation de l'homme à son milieu maritime.

Le concept de maritimité est une formulation simple pour désigner des relations complexes entre l'homme et la mer. Il évoque la représentation, la sensibilité, la perception que l'homme a de son milieu. Cette perception du monde maritime est évolutive selon les époques, les idéologies, l'évolution des technologies, les mentalités... Tous ces facteurs déterminent les actions, les activités maritimes des différents groupes sociaux.

Les relations entre les hommes et la mer sont de plusieurs ordres : relations sportives, ludiques, récréatives, professionnelles, culturelles... Au-delà de ces différents rapports, comme toutes populations marquées par un trait géographique majeur (milieu montagnard, milieu désertique...), les populations côtières sont imprégnées d'une mémoire collective. Nombreux sont ceux qui ont des ancêtres ayant vécu de la mer ou qui ont étaient imprégnés par cet espace maritime. Ces populations ressentent un fort sentiment d'appartenance à cet environnement. Elles ont reçu un héritage à travers les monuments (phares, vieux ports), les peintures, les bateaux de pêche anciens ou modernes... Mais c'est aussi à travers l'action, la mobilisation d'acteurs qui font vivre ou revivre ce patrimoine maritime.

Réfléchir sur la maritimité, c'est comprendre comment les hommes s'approprient, perçoivent et pratiquent la mer, l'estran, la côte... C'est une réflexion entre le passé et le présent. Cette compréhension de ces rapports passe par l'analyse de l'économie locale, sans négliger l'aspect culturel et idéologique tenant une place primordiale dans l'analyse de la maritimité d'un territoire.

Rapide retour sur les différentes formes de maritimité

Tout au long de l'histoire, les populations perçoivent la mer de manière différente. Dès l'Antiquité certaines peuplades ressentent la mer comme un monde répulsif, dangereux, peuplée de monstres marins. Par contre certaines civilisations comme les Grecs, les Danois ou bien les Bretons ont eu une relation plus ouverte sur l'espace maritime. Le monde marin est synonyme de "mer nourricière". La mer invite plutôt au voyage, à la découverte, au dépassement de soi-même.

La relation plus moderne à la mer est différente. Les hommes ont soif de connaissances. Les grandes découvertes vont démystifier l'idée d'un monde marin illimité. L'époque moderne se caractérise essentiellement par des relations économiques. Différentes communautés maritimes se croisent : les pêcheurs, les marins, les négociants et les militaires. Les pêcheurs et les marins ont des rapports conflictuels et tragiques avec les océans, ils subissent les éléments. Les négociants conçoivent la mer comme un vaste espace d'échanges économiques, source de richesse.

À côté de cette vision cartésienne, certaines couches privilégiées ont une approche beaucoup plus esthétiques de la mer et plus particulièrement des îles. Les grandes découvertes s'accompagnent de récits fantastiques sur un monde maritime imaginaire, rassurant et lointain, sur un vaste espace utopique.

Fin XIXe, début XXe siècle les rapports entre les hommes et leur univers maritime évolue très vite. La population côtière travaille avec la mer. Les activités maritimes ne sont qu'un labeur. La découverte de la côte d'une manière ludique n'apparaît qu'au début du XXe siècle avec la littérature romantique et les peintres impressionnistes. Une génération d'artistes (Monet, Boudin, Dufy, Dubuffet, Proust...) a été fascinée par la nature et la lumière de la côte normande. La perception de ce paysage marin se complète de sensations et d'émotions. En parallèle de cette nouvelle vague d'artistes, les premiers séjours à la mer prennent leur essor en même temps que l'arrivée du chemin de fer. Les premières vagues de touristes arrivent. Cet attrait pour la mer crée une valorisation des côtes, les communautés du littoral prennent conscience d'une identité maritime forte.
 

La maritimité aujourd'hui

Aujourd'hui, une nouvelle sensibilité au maritime s'est développée. Cette nouvelle appropriation du monde maritime est apparue au début des années 1950 avec :

  • l'avènement d'une société dite de loisirs,
  • une urbanisation et une industrialisation galopantes le long de nos côtes,
  • des pratiques maritimes ludiques.

Dans un premier temps, les formes traditionnelles de la maritimité sont en crise à partir des années 1970, à travers une baisse des effectifs dans les activités maritimes classiques : la construction navale, la pêche, la marine de guerre. L'économie de plus en plus mondialisée renforce les concurrences entre pays industrialisés mais également entre pays industrialisés et pays en voie de développement. Le secteur de la construction navale, domaine d'activité privilégié des grands ports de la façade atlantique, est rivalisé par la façade pacifique. Les flottilles de pêches voient leurs effectifs baissés en raison de quotas.

Cette époque est ainsi marquée par une "démaritimisation" c'est-à-dire par un déclin des zones littorales (activités économiques), par une centralisation des prises de décisions dans les grandes métropoles. Parallèlement, les activités de loisirs se développent très rapidement entraînant une urbanisation anarchique le long des côtes.

Après ces années de crise, une nouvelle maritimité émerge avec des nouvelles formes de sociétés. Cela s'exprime par la croissance des sports nautiques et de glisse (planches à voile, surf, speed-sail), les croisières, les musées maritimes, les ports de plaisance, les grandes compétitions nautiques... L'eau prend une place de choix dans toutes les villes portuaires européennes : l'aménagement urbain se tourne vers la mer, une valeur nouvelle dans le paysage urbain. Lorient, Brest, Dunkerque, Saint-Nazaire, Liverpool, Anvers... s'attachent à la reconquête des espaces portuaires (réaménagements des quais, ouverture du centre-ville sur la zone portuaire isolée...). La mer ignorée pendant les années 1970-1980, retrouve sa place et devient un enjeu d'aménagement de ville en quête d'identité.

Le développement et l'ancrage du tourisme sont importants sur les façades maritimes. Le tourisme maritime peut se définir selon trois types :

  • le tourisme balnéaire (port de plaisance, station balnéaire, label "pavillon bleu", voile) ;
  • le tourisme culturel (patrimoine maritime, musée...) ;
  • le tourisme vert (écologie, panorama...).

Une prise de conscience s'affirme par la sauvegarde de cet espace maritime fragile. La frénésie d'une urbanisation sauvage du littoral est freinée, réglementée à présent par l'État. Les touristes sont fascinés par les formes d'existence traditionnelle (développement des associations de vieux gréements, rituels religieux). Le patrimoine maritime est mis en valeur : folklore local, valorisation du littoral.

Le monde industriel est également bouleversé : la construction navale s'oriente vers la plaisance, les entreprises de transformation des produits de la mer innovent selon le goût des consommateurs, des labels de qualité apparaissent, l'aquaculture se développe... Les nouvelles technologies font leur entrée dans la construction navale de bateau de croisière ou de bateau de course, dans l'agro-alimentaire (biotechnologies).


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