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Accessibilité - intermodalité Plus vite… aller plus vite, transporter plus vite, c’est tendu vers cet objectif que nos sociétés ont déployé une ingéniosité et des efforts considérables. Le dernier siècle a fait réaliser un énorme bond. Les gains de temps sont tels que l’espace, dans sa perception, en est contracté, la distance-temps au sein de l’Europe s’exprime en heures et non plus en jours. L’espace Manche, comme toute la planète, s’en trouve considérablement changé. La nouveauté radicale de la fin du XXe siècle est la réalisation du vieux rêve du tunnel sous la Manche. Après des décennies d’imaginaire et de multiples projets, quelques années de grand chantier ont ouvert un tunnel sous le détroit en 1994 : entrée en France à Calais, sortie en Angleterre à Folkestone. L’Angleterre n’est plus tout à fait une île. Des navettes passagers joignent maintenant Londres et Paris en près de 2 h. Des navettes fret chargent des camions. La double possibilité, ferries ou tunnel, introduit depuis plus de dix ans une nouvelle configuration dans les liaisons entre les îles Britanniques et toutes les destinations du continent. L’idée la plus répandue est que le tunnel permet d’aller plus vite. C’est vrai… mais pas tant que cela. Une analyse des liaisons entre 83 villes d’Europe, d’Aberdeen à Algésiras, montre que la réalité est beaucoup plus nuancée. Deux matrices de liaisons entre villes ont été construites, l’une avec passage par le tunnel ou par la mer sélectionnant le plus court en temps, l’autre avec passage systématique par la mer. Sur les trajets où les deux modalités sont comparées, l’itinéraire tunnel fait gagner 10 à 15 minutes entre les villes anglaises et vingt villes du continent. Seule Calais gagne 26 minutes par trajet ; Anvers, Bruxelles, Dunkerque, Hambourg, Lille et Rotterdam, Zeebrugge en gagnent 15 ; les gains cumulés pour chacune d'entre elles sont de l'ordre de 10 h. Pour les trajets courts et les villes proches du tunnel (Benelux, sud et centre de la Grande-Bretagne), le bénéfice apparaît substantiel, ce sont ces régions qui gagnent le plus à l'utilisation du tunnel. Le gain s'affaiblit progressivement pour les déplacements à partir de Strasbourg, Turin, Rome, Metz, Milan, Arras, Besançon, Grenoble, Marseille, Lyon, Toulon, Nice. Il représente une part marginale pour les longs trajets : moins de 1,5 % du total. Sur 83 x 83 liaisons, 300 heures (sur un total de 54 100 heures) peuvent être gagnées. Des zones côtières à l’intérieur du continent
De l’intérieur du contient aux zones côtières
Les cartes représentent les trajets routes-ferries-routes, sans passage par le tunnel. La représentation par anamorphose transforme l’espace géographique par la variable temps. Les plissements de la grille dessinent l’espace-temps. Les positions relatives des 83 villes sont calculées à partir des temps d’accès, pris simultanément, transformant l’espace géographique, en gris dans la carte, en un espace « contracté », « dilaté » couleur bis, les flèches indiquant le « glissement » des positions des villes. Les modes de déplacements pris en compte, le routier et le maritime, n’ont pas le caractère très rapide et donc spectaculaire de la très grande vitesse susceptible de bouleverser l’espace. Ils font néanmoins ressortir un espace différencié. Si on y ajoutait l'Europe centrale, les positions relatives, « la déformation temps » et donc la représentation en carte, changeraient. Au sein de cet ensemble, les masses terrestres « s’écrasent », avec une tendance à la migration vers l’Est pour les villes italiennes et le sud-est pour Hambourg. L’intégration de l’Europe centrale est susceptible de créer un espace continental plus contrasté, révélant les performances du réseau routier. La vitesse moyenne sur mer reste actuellement plus lente que sur route, c’est la raison de l'ouverture de l’espace que l’on observe sur la carte. Les villes sont plus « rapprochées » entre elles par le trajet routier et autoroutier sur le continent que par le trajet maritime. La carte accentue l’écart-temps entre les villes côtières, dilatant l’espace en ouvrant une échancrure à l’Ouest. Cet écart ne doit pas gommer un aspect essentiel : ces liaisons bien que plus lentes relient très bien les ports et diffusent dans les hinterlands. La mesure correspond aux ferries classiques actuels, plus rapides, plus confortables et chargeant plus de camions que leurs prédécesseurs mais les liaisons NGV, saisonnières et avec moins de fret n’ont pas été intégrées. Les nouvelles liaisons rapides pour passagers en Manche centrale permettent des trajets en moins de 3 h et des allers-retours en moins d'une journée. Cette situation est donc éminemment relative : relative à un réseau autoroutier rapide, particulièrement sur le continent, relative aux types de navires. C’est la route qui imprime sa marque, la façon de franchir la mer n’a une influence que très secondaire à l’échelle temps européenne, mais cette incidence et son évolution sont importantes tant pour les échanges européens, la dimension environnementale, que pour l’économie de plusieurs secteurs et des régions considérées. Recalculée, et non pas zoomée, pour 43 villes autour de la Manche, la répartition « temporelle » des villes souligne les vitesses du réseau et les temps des traversées maritimes qui dilatent l’espace géographique et marque l’accessibilité des villes les plus centrales, dont le temps d’accès moyen (la moyenne des temps de trajet vers les autres villes de la zone d’étude) est autour de 3 h 30. Il apparaît ainsi que les deux modes (tunnel et ferries) sont complémentaires. Le tunnel diminue les distances-temps pour des régions très proches et déjà très puissantes sur le plan économique, mais cette diminution n’est vraiment sensible que pour les trajets les plus courts, les villes les plus centrales. Les passages maritimes pour des villes et régions éloignées compensent largement le gain tunnel et offrent d’autres avantages : temps de repos, diversification des itinéraires. Leur maintien, leur amélioration sont un enjeu de développement non seulement pour les régions bordières, mais également pour les régions aussi éloignées que les régions espagnoles ou celles du nord de l’Angleterre. Il y a un enjeu stratégique pour les ports et les régions à les faire apparaître dans les représentations mentales et dans les itinéraires possibles des opérateurs de transport, des GPS, etc. Le tunnel a « rapproché » certaines villes, les nouveaux gains distances-temps des prochaines décennies pourraient se jouer beaucoup plus sur la mer. Haut |