Sécurité maritimeSécurité maritime
 
Un enjeu de sécurité (2007)
Auteur : Pascal Buléon

Le 20 janvier 2006, nuit de tempête à l’entrée de la Manche, la mer est dure, les vagues très formées, le vent fort. Le cargo suisse Alessia, cargo de 95 mètres construit en 1999, transporte 3 932 tonnes d’acier en provenance de Brake en Allemagne et fait route vers Haïfa, Israël. Par 38 miles dans le nord d’Ouessant, il signale à 1 h 00 au CROSS avoir pris une gîte de 30 degrés sur bâbord, suite à un désarrimage de sa cargaison. À 1 h 40, le remorqueur de haute mer Abeille Bourbon appareille sur décision du préfet maritime pour escorter le cargo et un hélicoptère Super Frelon est mis en alerte. L’Abeille Bourbon escorte l’Alessia jusqu’au port de Brest.

Des situations similaires sont survenues à 11 reprises en 2006 dans la zone d’intervention du Corsen, d’Ouessant à la baie du Mont-Saint-Michel. 11 escortes et 4 remorquages d’urgence ont été menés, 182 avaries ont été signalées, bénignes pour la grande majorité. C’est à la fois peu et beaucoup, peu au regard de l’activité globale de sauvetage en mer et au regard de l’importance du trafic maritime, beaucoup parce qu’il ne s’agit que d’une partie de la Manche et que ces situations peuvent rapidement dégénérer.

De l’activité des CROSS, organisme en charge de la surveillance et sécurité en mer en France et des MRCC en Grande-Bretagne, moins de 5 % concerne les navires de commerce, la majorité des interventions est pour la pêche et la plaisance. Néanmoins, compte tenu des enjeux environnementaux, de la masse des populations concernées et des impacts économiques et politiques, la sécurité du trafic maritime en Manche constitue un problème et un enjeu considérables.

La montée en puissance du trafic en Manche a multiplié les risques d’accidents et de pollution. Les matières dangereuses transportées ont augmenté en nombre, depuis les hydrocarbures jusqu’aux produits chimiques. L’état des navires, la migration vers des pavillons de complaisance plus laxistes en matière de législation, de contrôle, de fiscalité, de normes, ont accru les problèmes depuis les années 1960. La convergence de ces faits, dont le principal est l’intensité du trafic, a élevé le niveau de risque en mer de la Manche.

Depuis longtemps, un dispositif de séparation du trafic organise un rail montant vers la mer du Nord et un rail descendant. Ce dispositif fut précédé d’une série d’expérimentations mises en place sur la base du volontariat en 1967. Ce n’est pas avant 1971, après une série d’accidents et 51 morts dans trois collisions sur les sites d’épaves partiellement immergées, que les autorités furent poussées à agir. Malgré cela, le dispositif ne fut définitivement en vigueur qu’en 1977. Le système d’information sur la navigation en Manche (CNIS) qui invite les navires à se conformer aux procédures de l’OMI (Organisation maritime internationale) fut significativement renforcé en 2003 par l’introduction d’un nouveau système radar associé à un système de gestion de l’information (VTMIS). Un site d’entraînement au contrôle de la navigation a été mis en place, avec un concours européen, au MCA de Douvres où « veilleurs » anglais et français du CROSS Gris-Nez s’exercent à intervenir ensemble.

À l’entrée Ouest, en 2006, le Corsen a identifié 55 058 navires, soit une moyenne de 150 navires par jour, le centre de Jobourg en a identifié 197 par jour et Gris-Nez dans le détroit 163 par jour. Tous les ans, le trafic augmente de 2 à 3 %. Ce sont majoritairement des cargos polyvalents et des porte-conteneurs et 20 % de l’ensemble transportent des matières dangereuses, soit quelques 150 millions de tonnes sur une année. Antigua-et-Barbuda, Bahamas, Panamá, Liberia, Pays-Bas sont les pavillons les plus fréquents. Sur toute la mer, la météo constitue un risque, mais l’entrée en Manche, au large d’Ouessant et des Scilly, y est particulièrement exposée. Sur toute la mer, la collision est le risque qui s’est considérablement accru, mais c’est dans le détroit qu’il est le plus important. En 2006, le Star Herdla entre en collision avec le Cape Bradley qui transportait 30 000 tonnes de naphta ; au cours du dernier trimestre 2006, 13 situations de collisions, chiffre courant, se sont produites dans le rail montant du détroit.

La situation d’avarie est l’incident le plus fréquent. Comme à l’entrée de la Manche, Jobourg en recense 103 en Manche-centre en 2006 et Gris-Nez, 59. Contrairement à une crainte répandue, la flotte est assez jeune : plus de 60 % a moins de 15 ans dont 21 % moins de 5 ans.

Les accidents aux conséquences les plus étendues impliquent les hydrocarbures, ils n’ont que peu diminué depuis le naufrage du Torrey Canyon en 1967 qui avait répandu des images de désolation sur les côtes. Ce n’est pas que les pollutions n’eussent pas existé antérieurement, mais convergeaient là une course au gigantisme des tankers, une augmentation du trafic, une occupation du littoral et une sensibilité montante à la question environnementale. Les accidents plus ou moins graves se sont poursuivis, Amoco Cadiz (1978), etc., ils ont par contre diminué en proportion puisque le trafic a considérablement augmenté. Celui de l’Erika (1999) marqua le début d’une réaction publique et institutionnelle plus forte. Les chimiquiers ont également leur part (Ievoli Sun, 2000) mais jusqu’alors moins grave. Le risque conteneurs s’est considérablement élevé ; perdus, flottants entre deux eaux, ils constituent un danger. En 2007, l’échouage dirigé en baie de Lyme, sur la côte du Dorset – site du patrimoine mondial de l’UNESCO –, du porte-conteneurs MSC Napoli, montre ce qui peut se reproduire. Pour la première fois dans l’hiver 2007, les autorités anglaises et françaises ont interdit l’entrée du détroit à un porte-conteneur venant de mer du Nord qui, éprouvé par une violente tempête, constituait un risque. Cette situation est révélatrice tant des nouveaux risques que des réponses qui sont élaborées.

La sécurité maritime, domaine compliqué, est organisée en plusieurs niveaux. Le droit international, stabilisé par la convention de Montego Bay, qui vaut partout, est fait de différentes conventions : de celles de Bruxelles (1913), Montego Bay (1948) jusqu'aux dernières adoptées sous l’égide de l’OMI attachées aux Nations Unies. Les réglementations des États côtiers et l’apparition d’une politique et réglementation de l’Union européenne s'y ajoutent. La mer de la Manche est une des zones où l’articulation entre ces niveaux est sensible. Le naufrage de l’Erika a accéléré le renforcement des mesures de sécurité. Une série de propositions, les paquets Erika I et Erika II, a été faite aux États membres sur le contrôle des ports, les activités, un calendrier d’élimination des pétroliers à coque simple. Une Agence européenne pour la Sécurité maritime a été créée en 2002, support technique de la commission et des États pour une amélioration de la sécurité maritime.

 

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Le Royaume-Uni et la France ont développé la coordination de leurs interventions. Il est constant maintenant que les autorités de sécurité en mer des deux pays fassent appel les unes aux autres pour intervenir dans les eaux territoriales dès que la situation le demande. Les personnels des centres de surveillance, tels ceux de Douvres et Gris-Nez, effectuent des stages les uns chez les autres. C’est à ces deux niveaux, national et européen, que la compétence sécurité réside. Les niveaux régionaux et locaux, qui se trouvent en première ligne des risques supportés et souvent des charges consécutives aux accidents, cherchent leur place dans une meilleure organisation de la prévention et de l’intervention. La coordination entre États a significativement bougé, le niveau technique et la capacité d’intervention des instruments nationaux se sont élevés. Le cadre de l’Union est encore embryonnaire, la place des acteurs régionaux et locaux l’est encore plus, c’est sans doute l’une des actions de gouvernance de l’espace Manche qui peut voir le jour.

La question de l’information sur le trafic, la question de la qualité et de l’échange de l’information, du perfectionnement de systèmes d'assistance à la décision et à l'intervention, apparaissent essentielles, tant pour la sécurité du grand trafic que pour celle de la pêche et de la plaisance. Les premiers progrès qui ont été faits comme les projets nationaux ou européens (Safeseanet) montrent tous les gains qui peuvent en être attendus. À ce perfectionnement des systèmes d'information, comme aux multiples formations de tous ceux qui peuvent au quotidien prévenir les accidents, des navigants aux personnels de contrôle, la chaîne d’intervention nécessite l’association d’acteurs locaux et régionaux aux organismes d’États et de l’Union européenne. À ces conditions, au qualificatif de plus fréquentée, la mer de la Manche pourrait adjoindre celui de plus sûre du monde. Cela ne serait pas rien.


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