19801980
 
Une comparaison hiérarchique et théorique de la croissance urbaine de part et d'autre de la Manche (1960-1990)
Auteurs : Guy Baudelle, Samuel Lefevre

Introduction

Les grandes villes ont joué un plus grand rôle dans la croissance urbaine en France qu'en Angleterre

Les villes moyennes britanniques ont en revanche connu une croissance plus vive

Organisation spatiale et efficacité économique : une comparaison entre Londres et Paris

Introduction

L'assez bonne correspondance de périodicité des recensements de population et de leurs années de réalisation en France et au Royaume-Uni rend possible une étude comparée de la croissance des villes de la zone Transmanche sur une génération, du début des années 1960 au début de la décennie 1990.

L'objectif était de comparer les rythmes de croissance urbaine selon la taille des agglomérations dans chacun des deux pays. Une telle étude pose une question théorique, celle de l'autonomie de ces deux réseaux : forment-ils un même système ? Si c'est le cas, la dynamique de chacun est au moins partiellement liée à l'autre, de sorte que leurs rythmes et leurs formes seront vraisemblablement proches. L'hypothèse d'une telle homologie est plausible, dans la mesure où la proximité géographique et le renforcement des relations économiques grâce à la construction européenne et au développement des coopérations transfrontalières jouent en faveur d'une telle interdépendance des réseaux situés de chaque côté de la Manche. Inversement, on peut aussi avoir affaire à deux systèmes urbains moins interreliés, évoluant par conséquent différemment, de sorte que l'évolution urbaine répondrait bien davantage à des logiques nationales. Dans ce cas, les modalités de la croissance urbaine risquent fort d'obéir à des cycles différents. Enfin, il est également possible que l'évolution des villes anglaises et françaises de la zone Transmanche ait connu des rythmes analogues en dépit d'interactions réelles encore modestes, mais en raison de leur commune dépendance envers des facteurs d'évolution générale tels que la crise économique, l'internationalisation des échanges ou la mondialisation.

C'est pourquoi l'étude a principalement porté sur la variation des rythmes de croissance selon la strate de taille des villes. Pour ne pas alourdir l'analyse, on a choisi d'en exclure les petites villes, à la population inférieure aux 20 000 habitants en 1990. Parmi l'ensemble de 161 villes ainsi retenues, on a simplement distingué les grandes villes des villes moyennes, selon les seuils de taille adoptés par la nomenclature de l'INSEE, soit un minimum de 200 000 habitants pour les premières et de 20 000 pour les secondes. Les deux villes-capitales – agglomération parisienne et Grand Londres – ont été considérées toutes deux comme un tout.

Au total, les deux pays comptent à peu près le même nombre de grandes agglomérations : une douzaine. En revanche, le nombre de villes moyennes est inégal : 88 côté anglais contre 50 côté français, cette différence reflétant par conséquent un écart non négligeable dans le nombre d'unités urbaines de chaque côté de la Manche : 61 dans les régions françaises contre 100 dans leurs homologues britanniques pourtant moins étendues. La densité urbaine est donc sans commune mesure d'un côté et de l'autre. En 1991, la population totale résidant dans ces agglomérations grandes ou moyennes est de l'ordre de la quinzaine de millions dans chacun des deux espaces, mais l'écart est quand même important : près de 16 200 000 habitants côté français contre moins de 14 800 000 côté anglais, soit un différentiel de près d'1,4 millions, principalement explicable par l'inégal poids des deux capitales.

On a cherché à savoir la part qui revient à chacune de ces deux catégories de villes dans la croissance urbaine et à connaître leurs rythmes respectifs d'accroissement démographique de chaque côté de la Manche.

Les grandes villes ont joué un plus grand rôle dans la croissance urbaine en France qu'en Angleterre

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Les régions "transmanche" du Royaume-Uni comptaient vers 1990 une grande ville de plus que leurs équivalents français, mais les grandes agglomérations pesaient plus lourd en France : près de treize millions de citadins, soit quatre citadins sur cinq dans la zone étudiée, contre moins de dix millions côté britannique, soit seulement deux urbains sur trois outre-Manche. La différence tient essentiellement à l'écart de population entre les capitales, qui est désormais de près de trois millions (9 319 000 habitants dans l'agglomération parisienne contre 6 379 000 au Grand Londres), soit 95 % de la différence totale. L'agglomération parisienne regroupe ainsi 57,6 % du total de la population vivant dans des unités urbaines grandes ou moyennes contre 43,1 % au Grand Londres à l'intérieur de l'espace "transmanche" anglais. Par contre, la population moyenne des autres grandes villes est à peu près identique des deux côtés de la Manche : 320 000 habitants en Angleterre et 367 000 habitants en France.

Leur dynamique démographique a été très différente sur une génération. Globalement, les grandes villes françaises ont en effet connu une croissance vive de 1962 à 1990, avec un gain de plus de deux millions et demi d'habitants, soit près d'un quart de population supplémentaire. À elle seule, l'agglomération parisienne a gagné 1 735 000 habitants, soit 68 % de la hausse, ce qui est conforme à son poids actuel dans l'ensemble de la population résidant dans les grandes villes. Par contre, les grandes agglomérations anglaises ont vu leur population diminuer de 9 % en trente ans. Alors qu'en France, sur trente ans, ce sont les grandes villes qui ont connu la croissance la plus vive (+ 24 %), en Angleterre, ce sont au contraire celles-là qui ont enregistré la plus faible augmentation relative. Les grandes villes françaises n'ont ainsi cessé d'accroître, de façon très régulière d'un recensement à l'autre, leur poids dans la population régionale, tandis qu'en Angleterre, cette part a constamment diminué, y compris dans les années 1980 bien que plus modérément. Cela dit, en dehors de la capitale, les grandes villes britanniques ont connu une même progression que leurs équivalentes françaises. Aussi le poids de l'agglomération capitale dans la population des grandes villes a-t-il régressé de plus de neuf points en Angleterre alors qu'il n'a diminué que d'un point en France.

Les cycles de croissance urbaine apparaissent donc assez dissociés des deux côtés de la Manche : on est en présence de deux systèmes urbains différents, puisque leurs évolutions apparaissent plutôt indifférentes l'une à l'autre. Certes, les grandes villes ont connu une évolution globale similaire, mais les trajectoires complètement divergentes de leurs capitales introduisent un biais radical. C'est l'indice d'une faible unité fonctionnelle du réseau urbain transmanche, en dépit des échanges croissants venant renforcer les liens entre les deux rives de la Manche. Les variations de croissance se sont vraisemblablement inscrites dans un environnement avant tout national, au sens systémique, et cela bien que les organismes urbains de grande taille soient des systèmes en général plus ouverts que les autres.

Géographiquement, on voit comment la faible croissance de Londres semble s'être reportée sur les villes intégrées à sa zone d'influence telles que Luton, Aldershot et surtout Reading, de surcroît bien placée sur l'axe de haute technologie de la M4. Les grandes villes de villégiature ont également capté une forte part de la croissance urbaine britannique, en particulier Brighton et Bournemouth. L'analyse de la pyramide des âges indique cependant que les phénomènes de déversement migratoire y sont de nature complètement différente : en comparaison du Grand Londres qui compte 21,7 % de jeunes (0-17 ans) et 17 % de personnes âgées de plus de 60 ans, des villes comme Luton, Aldershot et Reading apparaissent comme nettement plus jeunes (24,6 % contre 13,5 % de personnes âgées) : elles ont accueilli des familles. En revanche, un "effet Sud" conjuguant attraction littorale, héliotropisme et proximité londonienne joue à plein pour les stations balnéaires de Brighton et Bournemouth qui se caractérisent par un déficit de jeunes (18,5 %) et une proportion deux fois plus élevée de personnes âgées (26,9 %).

La dynamique relative des grandes villes françaises n'obéit pas à la même logique, car un "effet Sud" ne saurait s'y manifester en raison de l'absence de rente de situation climatique d'envergure nationale, de sorte qu'aucune grande ville de villégiature n'y est apparue, alors que Brighton (332 000 habitants) et Bournemouth (273 000 habitants) occupent respectivement le troisième et le cinquième rang de la hiérarchie urbaine de l'espace Transmanche anglais. De plus, à la différence là encore de la Grande-Bretagne, l'agglomération capitale n'a aucun relais de grande taille. On n'y a donc pas observé de captation ou de report de son potentiel de croissance à moyenne distance comme dans le cas de Londres, d'autant que les activités décentralisées en France ont correspondu à des emplois industriels de faible qualification pour lesquels une implantation dans une grande ville n'était pas recherchée, au contraire, compte tenu du gradient de rémunération et de qualification que l'on observe en relation avec la taille des villes. De façon surprenante, les agglomérations minières et industrielles de Valenciennes et Béthune ont connu une forte croissance malgré l'effondrement puis la disparition des charbonnages. L'examen par période montre que cette progression n'a été rapide que jusqu'au début des années 1970, grâce à un fort solde naturel et avant que n'intervienne le repli industriel généralisé. L'extension de l'espace urbain a peut-être aussi modifié les limites statistiques de ces conurbations minières. Enfin, Rennes a visiblement profité du développement des fonctions administratives et de l'implantation de l'industrie automobile et électronique.

Les villes moyennes britanniques ont en revanche connu une croissance plus vive

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La dynamique des villes moyennes et intermédiaires a été contrastée entre les deux rives de la Manche. En France, les villes de 20 000 à 200 000 habitants ont enregistré une forte progression dans les années 1960 (surtout pour les petites villes moyennes de moins de 60 000 habitants), une croissance plus modérée dans les années 1970 (avec une progression cette fois des seules grandes villes moyennes, les petites voyant leur population se stabiliser dès cette époque), puis une stagnation relative des unes et des autres dans les années 1980. En Angleterre au contraire, ces villes ont connu un développement plus prononcé que les grandes agglomérations : les grandes villes moyennes y ont enregistré une croissance régulière, mais globalement plus forte qu'en France à cause de leur stagnation récente dans ce pays. De même, contrairement à leurs homologues françaises, les petites villes moyennes britanniques ont connu une croissance démographique à la fois régulière et soutenue, accroissant ainsi de façon significative leur poids dans l'ensemble de la population des régions bordières de la Manche.

Ces évolutions non corrélées indiquent de nouveau l'absence de connexion entre les cycles urbains anglais et français dans ces régions voisines. Côté britannique, un phénomène spontané de déconcentration urbaine a été engagé de longue date : c'est l'une des manifestations de "l'avance urbaine" du Royaume-Uni, pays le plus précocement urbanisé du globe. Ce processus centrifuge a été soutenu dès la fin de la guerre par une politique d'aménagement du territoire et de décentralisation qui est restée très volontariste jusqu'au début des années 1980. Ce mouvement de desserrement des populations et des activités urbaines, qui a reçu des interprétations contradictoires, a notamment profité aux villes du bassin londonien, en particulier aux villes nouvelles et aux expanded towns.

En France, la forte croissance relative des petites villes est à mettre en relation avec le mouvement de desserrement industriel, encouragé par les mesures de décentralisation, au profit des villes offrant une main-d'oeuvre plus abondante et meilleur marché dans toute la France du Nord-Ouest. La crise économique des années 1970 a interrompu cette croissance économique et démographique, sauf pour les plus grandes villes moyennes, qui ont continué à s'équiper et ont profité du développement du secteur tertiaire, tout en bénéficiant de la politique d'aménagement du territoire, toutefois nettement moins ambitieuse et efficace. Les années 1980 ont vu le ralentissement généralisé de la dynamique de ces villes moyennes, qui témoigne d'un processus de remétropolisation.

Les deux cartes montrent bien la forte croissance des villes moyennes du bassin londonien, notamment les villes nouvelles Milton Keynes, Stevenage, Harlow, Basildon, Crawley – et les villes en expansion voisines, dont le développement a également été accompagné par les pouvoirs publics. Le redéploiement de la dynamique londonienne sur une couronne élargie, qui excède d'ailleurs vers le Nord les limites spatiales du territoire étudié ici, contraste singulièrement avec le cas parisien où seules quelques villes éloignées de la ville-centre ont bénéficié de l'effet d'entraînement de la capitale : Creil, Beauvais, Compiègne, Chartres, Dreux et Château-Thierry, même s'il est vrai que d'autres villes de la région Centre seraient à ajouter. Le reste de la croissance n'a profité qu'à l'agglomération parisienne proprement dite. On voit clairement ainsi les effets de l'installation de villes nouvelles aux portes de Paris. Dans le Sud-Est anglais, leur implantation plus lointaine, le maintien d'une ceinture verte autour de la capitale et la prépondérance d'un habitat individuel expliquent la tendance à la réduction du gradient de densité : le cœur s'est dédensifié alors que les périphéries proches et éloignées se sont fortement urbanisées. La couronne la plus proche reste fortement dépendante de Londres en matière d'emplois, mais la seconde, plus éloignée, est relativement autonome. Au contraire, l'agglomération parisienne est restée plus concentrée, avec un centre de densité élevée qui rayonne beaucoup moins, les valeurs foncières chutant donc rapidement. De même, les migrations alternantes à longue distance concernent une fraction non négligeable des actifs du Bassin de Londres : ceux-ci sont peut-être culturellement davantage prêts à les accepter en raison de la valorisation ancienne de la résidence suburbaine associée à la propriété d'une maison individuelle. Ce navettage éloigné ne revêt pas la même ampleur dans le Bassin Parisien, même si le bassin d'emploi de l'agglomération parisienne excède les limites de la région Île-de-France puisque 5 % des actifs parisiens n'y résident pas. La valorisation persistante de la ville-centre, la plus forte polarisation de l'emploi, la ségrégation socio-spatiale associée à un plus fort gradient foncier, la valeur attachée à la proximité du travail et du domicile et le sous-équipement de nombre de banlieues, en particulier dans la seconde couronne et au-delà, tout cela fait système pour limiter le redéploiement spatial de l'agglomération parisienne.

D'autre part, la carte confirme bien l'effet Sud observé pour les grandes villes britanniques : les villes littorales anglaises sont dynamisées par le tourisme et les migrations de retraite. Cet effet d'entraînement par les aménités climatiques et résidentielles ne joue en France que très marginalement, au profit de Dinard, Vannes et peut-être Caen.

Enfin, le profil économique des villes est un facteur important, mais, en trente ans, les évolutions ne sont pas toujours continues. À Dunkerque, la spectaculaire progression imputable à l'installation de l'industrie lourde et au développement portuaire dans les années 1960 explique le fort taux, la progression démographique de ces années fastes n'ayant pas été annulée par la stagnation observée depuis 1975. En Angleterre, l'ancien centre ferroviaire de Swindon, redynamisé par de nouvelles implantations et la proximité relative de Londres, se détache aussi. Une étude est actuellement en cours dans le cadre du programme Transmanche pour préciser l'influence du profil d'activités des villes sur leurs taux de croissance.

Enfin, on observe aisément le plus faible développement des petites villes moyennes françaises en comparaison de leurs équivalents anglais, et l'atténuation de la dynamisation londonienne à mesure qu'on s'en éloigne vers l'Ouest : Cornouaille et Devon sont moins touchés.

En définitive, ce sont bien les différences d'organisation spatiale des agglomérations-capitales qui expliquent l'essentiel des différences observées, l'agglomération-mère londonienne ayant redistribué son dynamisme dans une aire de diffusion si vaste qu'elle a perdu 1 613 000 habitants sur la période, soit une diminution de près de 20 %. Le modèle parisien de croissance reste beaucoup plus concentré : l'agglomération parisienne a au contraire gagné dans le même temps une population équivalente à celle perdue par Londres (1 735 000 habitants, soit une hausse de près de 23 %). L'arrêt des décentralisations industrielles en France a interrompu un processus de redistribution éloignée dont avaient tiré profit les petites villes moyennes. L'actuelle métropolisation semble interdire un nouveau redéploiement.

Organisation spatiale et efficacité économique : une comparaison entre Londres et Paris

La comparaison du mode d'organisation spatiale des capitales française et britannique renvoie à d'autres questionnements théoriques, sur la relation entre densité urbaine et productivité et sur les avantages économiques et sociaux respectifs d'une ville monocentrique ou polycentrique. Le modèle londonien apparaît en effet comme un bassin d'emploi plus étendu, moins dense et polycentrique, alors que le modèle parisien est plus concentré, plus dense et monocentrique.

À propos de l'efficacité économique respective de ces deux modes d'organisation, Marie-Paule Rousseau indique que la surproductivité de l'Île-de-France par rapport au reste de l'espace national, une fois éliminé l'effet de structure, est presque identique à celle du Grand Londres au Royaume-Uni. Ce constat est plutôt à l'avantage de Londres compte tenu de la différence de hiérarchie urbaine entre les deux pays, puisque le coefficient de primatie est plus fort en France, pays caractérisé par une sous-représentation des grandes agglomérations : on aurait donc pu s'attendre à ce que l'efficacité relative de Paris par rapport à la province soit plus nette. De plus, étant donnée la relation que le concept d'économies d'agglomération établit entre productivité et taille urbaine, on aurait pu aussi penser que l'Île-de-France ferait mieux puisqu'elle est aujourd'hui nettement plus peuplée que le Grand Londres.

M.P. Rousseau n'en conclut pas moins que Paris est relativement plus productive en France que Londres au Royaume-Uni. Elle considère en effet que le niveau de surproductivité équivalent porte cependant sur un nombre d'emplois plus important en Île-de-France : cinq millions contre moins de quatre millions au Grand Londres. On peut toutefois observer que la surproductivité est plus facilement obtenue avec un effectif supérieur puisque par définition les possibilités d'économies d'agglomération augmentent avec la concentration de population.

M.P. Rousseau estime ensuite que l'intégration du Sud-Est au calcul de façon à obtenir un marché du travail équivalent à celui de l'Île-de-France aurait pour effet de faire baisser le niveau de surproductivité de l'agglomération britannique à + 11 % contre + 20 %. L'avantage de l'agglomération parisienne tiendrait à la conjugaison d'une urbanisation plus dense et d'une meilleure organisation des transports qui accroissent le marché du travail, la quantité de main-d'œuvre mobilisable par les entreprises ou le potentiel d'emplois géographiquement accessibles pour un temps de transport admissible étant plus élevés. La moindre distance kilométrique moyenne théorique aux emplois – de l'ordre de 20 km dans un rayon de 50 km autour de Paris contre 30 km autour de Londres – comme le plus grand volume d'emplois offert pour un temps de navettage donné en seraient la preuve : en moins de 45 mn, on atteint 1 990 000 emplois à Paris contre 1 670 000 à Londres.

Or, M.P. Rousseau relève simultanément que le marché de l'emploi est de 6,7 millions à 80 km de Londres contre 5,1 millions dans un même rayon autour de Paris. Le marché de l'emploi du Sud-Est britannique est donc en réalité plus large : on peut donc penser que la productivité y est plus grande que dans le Bassin Parisien (au sens géographique), même limité à 80 km. De plus, la productivité des villes du Bassin Parisien hors Paris est sans doute plus faible que dans les villes circum-londoniennes, car l'on sait qu'il regroupe des activités à faible valeur ajoutée : comme l'observe Roger Brunet, « la mer est bien triste et vide autour de l'île aux trésors ». Si l'intégration de son bassin fait baisser les valeurs d'efficacité économique de Londres, la réciproque est encore plus vraie, puisque le Bassin Parisien est relativement vide comparé à celui de Londres dans la mesure où l'organisation concentrée de Paris fait que son marché du travail dépasse à peine les limites de l'Île-de-France. La densité d'emplois du Sud-Est est donc bien supérieure à celle du Bassin Parisien, puisqu'il « concentre une population à peu près égale à celle du Bassin parisien sur une superficie deux fois moindre » (P. Veltz), et ce malgré l'écart numérique entre Grand Londres et Île-de-France.

L'agglomération fonctionnelle londonienne excède d'ailleurs le rayon de 80 km, puisque outre Milton Keynes, l'onde de croissance diffusée par Londres déborde le Grand Sud-Est et les régions Transmanche vers le Nord, jusqu'aux villes nouvelles de Northampton, Corby ou Peterborough : « les taux de croissance les plus forts », poursuit P. Veltz, s'observent « dans les villes moyennes du bassin londonien, jusqu'à 100 km ou plus du coeur de Londres ». On peut d'autant mieux supposer que la productivité de cet espace est plus élevée qu'il apparaît comme un marché du travail plus unifié que le Bassin Parisien.

La plus grande productivité et la meilleure efficacité économique de Paris par rapport à Londres et, plus généralement d'une ville dense et monocentrique, restent donc à démontrer. M.P. Rousseau le reconnaît d'ailleurs, en rappelant que l'accroissement de la productivité avec l'augmentation de la taille moyenne du marché de l'emploi ou la réduction du temps de navettage est très élastique, comme l'a montré C.W. Lee.

L'exemple du Sud-Est anglais semble indiquer qu'il n'y a pas d'incompatibilité entre développement métropolitain et diffusion spatiale dans un rayon conséquent au profit des niveaux inférieurs de la hiérarchie urbaine. Mick Dunford et Anthony Fielding évoquent d'ailleurs une « mégalopole multipolaire » constituée de nombreuses zones d'emploi, P. Veltz parlant d'un « grand bassin londonien qui se développe comme une métropole diffuse et multipolaire dans tout le sud-est du pays » au point, poursuit C. Moindrot, que « Londres et son bassin deviennent inséparables, la capitale déversant capitaux et industries dans des campagnes qui voient leur population, leur richesse et leur mode de vie se fondre dans la métropole ». La plus forte attraction internationale de la capitale britannique sur les implantations d'activités nobles, souvent notée, résulte peut-être même en partie d'un meilleur fonctionnement de l'agglomération obtenu grâce à une redistribution des fonctions et à une meilleure répartition des emplois, des services et de la population : on peut en effet supposer que les conditions de vie des Londoniens sont meilleures que celles des Parisiens en dépit d'un navettage théorique plus important. La comparaison des conditions de logement, en termes de taille, de proportion de propriétaires et d'habitat individuel, donne en effet un net avantage à Londres. La longueur réelle des migrations alternantes mériterait d'ailleurs d'être comparée, car la plus grande densité de l'agglomération parisienne devrait logiquement aussi engendrer une plus forte ségrégation socio-spatiale et par conséquent des trajets plus longs pour les catégories modestes. La comparaison du navettage réel par rapport à sa minimisation théorique compte tenu de la localisation des emplois et de la population active montre d'ailleurs, sur la base d'une étude comparée entre Los Angeles et Tokyo, que l'écart s'accroît non seulement avec la ségrégation spatiale, mais aussi lorsque les valeurs immobilières et le gradient de densité sont plus forts, ce qui est le cas de Paris par rapport à Londres.

Ce débat sur les avantages comparatifs d'une ville dense ou étalée renvoie à la confrontation de deux modèles d'organisation urbaine : la ville monocentrique ou multipolaire. Les simulations réalisées par l'étude américano-japonaise citée montrent que le meilleur moyen de réduire le navettage est la concentration de la résidence, plus encore que le redéploiement périphérique de l'emploi. Mais une telle augmentation du gradient de densité renchérit les valeurs foncières, de sorte que la réduction des migrations pendulaires se réalise logiquement au prix d'une dégradation des conditions de logement.

Reste donc à savoir comment vont évoluer les systèmes urbains londonien et parisien. P. Veltz entrevoit un possible glissement du Bassin Parisien vers le modèle anglais de « région métropolitaine diffuse », J.P. Lacaze imaginant de son côté une grande rocade qui en ferait le tour et sur laquelle un tel mouvement pourrait prendre appui. Un tel scénario de convergence dans l'organisation spatiale de ce qui constitue tout de même l'essentiel de la zone Transmanche n'est pas à exclure : D. Pumain estime même qu'on pourrait connaître une atténuation de la métropolisation, voire son arrêt et même un renversement de tendance, si on l'interprète comme la première étape d'un cycle d'innovation venant élargir le champ des relations interurbaines par accroissement de la vitesse des communications. Cette innovation pourrait bientôt se diffuser et venir profiter aux autres parties des systèmes urbains, c'est-à-dire aux villes de moindre taille.


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