VieillissementVieillissement
 
Des structures d'âges vieillissantes (2001)
Auteurs : Pascal Buléon, Frédérique Turbout

 

L'Europe est un continent qui vieillit. En 1950, 10 % seulement de sa population totale dépassaient 65 ans. Dans le demi-siècle qui a suivi, cette proportion a doublé et s'accroît toujours aujourd'hui. Cette tendance générale à la stagnation est parfois appelée « la seconde transition démographique » caractérisée par une baisse de la fécondité quand il s'agissait de baisse de la mortalité dans la première transition démographique. À la baisse de la fécondité s'ajoute l'allongement de la durée de vie. Les conséquences de ce changement structurel sont considérables et multiples pour l'économie et les sociétés dans leur ensemble. Les politiques sociales et les systèmes de santé auront de rudes batailles à traverser pour faire face à ce changement.

Du point de vue du vieillissement, il existe en Europe des différences nationales significatives, mais c'est plutôt à l'échelle régionale que les écarts, produits par des migrations internes, sont accentués. Dans l'espace Manche, le sud de l'Angleterre a été touché de manière très précoce, quand le nord, nord-ouest français, le croissant fertile (expression qui marque le dynamisme du baby-boom d'après-guerre), l'a suivi plus tard.

Au début des années 1980, la plupart des départements et comtés de l'espace Manche comptaient une proportion de moins de 20 ans supérieure à celle de plus de 60 ans, seuls le Devon, East et West Sussex et l'île de Wight avaient déjà franchi ce seuil des 60 ans plus nombreux que les moins de 20. Aujourd'hui, la situation a considérablement évolué : dans tous les départements, l'indice qui mesure ce seuil a passé la barre des 50 et atteint fréquemment 90. Dix comtés, en bande de l'East Sussex à la Cornouailles l'ont franchi, le Finistère, le Morbihan et l'Orne également… et le mouvement se poursuit.

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Sur cette trame générale, la situation se différencie à l'intérieur des comtés et départements, on retrouve le jeu grande métropole/périphérie et ville/rural/littoral. Les métropoles, Paris et Londres, attirent et gardent des jeunes et des actifs et aimantent en larges auréoles autour d'elles. Les grandes villes, et à moindre degré les villes moyennes, font de même au sein de chaque région et comté.

Au-delà de ces différenciations, le mouvement de fond porte au vieillissement, avec une situation déclenchée plus tôt dans la partie anglaise mais dans un sens similaire ensuite côté français. Le gradient est-ouest s'observe là encore, c'est à l'Ouest, des deux côtés, que le vieillissement est le plus marqué.

Le vieillissement des territoires s'est trouvé et se trouve aujourd'hui accentué par les migrations. Au vieillissement sur place des territoires, produit des départs de jeunes des zones rurales et du maintien des plus âgés, etc., s'ajoute du mouvement : celui des 60 ans et plus qui viennent s'installer dans nombre de ces territoires. Ces territoires sont attractifs par leur qualité de vie globale, leur paysage, l'agrément qu'ils procurent. Des milliers de personnes, qui en sont parfois originaires et qui ont fait leur vie active ailleurs, y reviennent s'installer, des milliers d'autres les ont connus à un moment ou à un autre et ont fait le choix d'y venir. Ce mouvement a commencé très tôt sur la côte Sud de l'Angleterre, Brighton, Poole, Lymington, Bognor Regis, sont l'archétype de ces stations qui, sur leur image antérieure de villégiature privilégiée, ont fait venir les foules. Le niveau de la côte Sud anglaise est très supérieur à celui de la partie française, mais si celui-ci n'atteint pas dans son ensemble le niveau de la côte d'Azur, les littoraux breton, normand, puis progressivement tout le littoral, sont montés à des niveaux élevés.

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Ce vaste mouvement de migrations des seniors ne concerne pas seulement les littoraux même s'ils en sont la pointe avancée. Le rural aussi est attractif et concerné par ces mouvements. Aussi les phénomènes de concentration, de saturation relative, de coûts du foncier et de l'immobilier, les barrières à l'entrée qui en résultent peuvent-ils provoquer des fluctuations, des ralentissements ici, des accélérations là, mais le mouvement de fond non seulement demeure mais s'accentue.

L'essentiel de ces migrations s'effectue dans un cadre national en irradiant des grandes métropoles et villes qui sont les générateurs vers les zones rurales et les littoraux. Elles se sont amorcées aussi par-delà la mer. Les flux de population se sont vivement accélérés dans les années 1980 à 2000, mais ils sont très loin d'être identiques. Les Français qui vont en Angleterre vont vers les villes, Londres d'abord bien sûr, mais aussi les grandes villes du Sud, ils y vont pour études et travail. Des Anglais viennent en France pour les mêmes motifs, à Paris également en premier rang, mais ce n'est pas le contingent le plus nombreux. Beaucoup d'Anglais actifs, par milliers, ont déjà acquis une résidence en France. Si la Dordogne est une des premières destinations, ils sont nombreux à avoir acquis en Bretagne, en Normandie, en Pays de la Loire et plus récemment dans la Somme et le Pas-de-Calais, des résidences secondaires. La très grande différence du coût de l'immobilier, jointe à leur attrait déclaré pour le mode de vie l'expliquent. Beaucoup de ces actifs, une fois arrivés à la retraite, s'installent plus durablement, pratiquent la double résidence comme leurs homologues français.

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Les régions et comtés de l'espace Manche se trouvent ainsi face à des paramètres de population radicalement changés : un vieillissement structurel de longue durée et une accentuation vive par apport extérieur continu.

Les pouvoirs publics et nombre d'acteurs privés ont commencé de prendre la mesure de ces changements de fond. Une personne de 60 à 70 ans en 2005-2010 n'est pas la même que dans les années 1960. Elle est souvent très active, s'investit dans nombre d'activités, sportives, culturelles, de loisirs en général. Elle dispose souvent d'un pouvoir d'achat substantiel. C'est donc avant tout de nouvelles énergies, de nouvelles richesses qui arrivent – pour ceux qui migrent - ou qui sont plus disponibles – pour ceux qui sont déjà sur place. L'accroissement des plus de 80 ans pose lui le problème de la prise en charge à des niveaux différents d'un affaiblissement des pauvres humains que nous sommes jusqu'à la dépendance. En la matière aussi les situations sont très évolutives, la construction de structures adaptées dans les années 2000 montre à la fois l'étendue du besoin et l'expression d'une attente sociale qui se formalise autour d'un maintien à domicile plus long, de structures à taille humaine et de dispositifs souples.

Il ne fait aucun doute que les technologies de l'information, la révolution informationnelle vont massivement être le support de pratiques différentes aussi pour la vie des personnes âgées, leurs soins, leur protection, leur vie à domicile. L'horizon des prochaines années va voir la poursuite du vieillissement des régions de l'espace Manche en même temps que l'éclosion des nouvelles organisations de la vie locale, liées à ce vieillissement.


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