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Densités de population dans les communes et MSOAs en 2015
Auteur : Frédérique Turbout

La répartition de la population permet de rendre compte de l’organisation spatiale d’un territoire, révélant à la fois les fortes concentrations, les polarisations et les marges et périphéries. Elle transcrit également les processus d’urbanisation, d’étalement urbain et de périurbanisation qui concernent la quasi-totalité des grands centres urbains mondiaux.

Dans l’espace Manche, la répartition de la population se calque sur les grandes tendances observées dans le reste de l’Europe, même si la configuration géographique de la zone transmanche lui confère des spécificités. Quatre grandes tendances peuvent être dégagées : une organisation bipolaire dominante à l’échelle de la zone, une structuration multipolaire secondaire à l’échelle des territoires, des interfaces sous pression et des marges interstitielles.

Avec une occupation moyenne de 215,6 habitants au km² en 2015, l'espace Manche affiche une densité moyenne de près de deux fois supérieure à celle de la France. Ce chiffre témoigne à la fois d'une attractivité forte de cet espace transfrontalier maritime mais masque également une très forte disparité des territoires transmanche.

Accueillant deux des principales métropoles européennes, Londres et Paris, de part et d'autre d'un couloir maritime parmi les plus fréquentés au monde, alors même que deux littoraux touristiques particulièrement attractifs se font face, un sud anglais et un nord-ouest français, les conditions sont optimales pour voir se concentrer dans cet espace relativement restreint hommes et activités.

La répartition de la population à l'échelle des régions, comtés ou départements illustrent déjà ces tendances lourdes de fortes densités de population. Une étude à l'échelle des communes ou de leur équivalent britannique apportent une compréhension plus fine de l'organisation spatiale de ces territoires transfrontaliers maritimes, de l’étalement urbain, du rôle des deux grandes métropoles nationales, de leurs aires d’influence, des unités urbaines de second rang et de l’emprise de la population sur les interfaces terre-mer que sont les littoraux.

 

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1. Le poids des deux métropoles nationales

L'espace Manche a cette particularité d'accueillir deux des plus grandes métropoles européennes à seulement quelques centaines de kilomètres l'une de l'autre. Il faut dire que la mer de la Manche joue un rôle de tampon, d'espace de transition, un vide presque « salutaire » qui permet que se développe ces deux métropoles, pourtant concurrentes à bien des égards. Dans ces espaces métropolisés, les concentrations de population sont fortes et dépassent les 5 000 habitants au km². Au-delà d'un centre-ville congestionné, se dessinent les auréoles des proches banlieues et de la périurbanisation, offrant aux yeux de l'observateur un subtil dégradé au fur et à mesure que l'on s'éloigne du centre historique ou du CBD (Central Business District). L'aire qui se dessine ainsi et affiche des densités supérieures à 500 hab./km² se prolonge bien au-delà de ces agglomérations stricto sensu, et s'étend jusqu'à couvrir la quasi-totalité de la région d'accueil de la métropole, qu'il s'agisse de l'Île-de-France, du Greater London, voire côté anglais de la quasi-totalité du South East.

Ces concentrations de population témoignent de la forte attractivité des aires métropolitaines. Elles sont relayées, à moindre échelle, par les métropoles régionales.

2. Les relais en région

Ce qui retient l'attention, outre les fortes densités parisiennes et londoniennes, ce sont avant tout les multiples pôles régionaux qui émergent de part et d'autre de la Manche. Rennes, Caen, Rouen, Amiens, Bristol, Portsmouth, Southampton, Plymouth, Exeter sont repérables par les fortes concentrations de population qu'on peut y observer. Relais des grandes métropoles en région, elles concentrent les hommes et les activités de part et d'autre de l'espace Manche. Ce sont ces pôles régionaux qui accueillent services à la population, entreprises, activités et vers lesquels convergent les réseaux de transport. Comme Paris et Londres mais à une échelle moindre, ces métropoles voient se dessiner autour de leur cœur historique, les auréoles de la périurbanisation, voire de la rurbanisation. La volonté d'accéder à la propriété individuelle est un moteur puissant de cette urbanisation galopante des territoires en proches périphéries, voire plus éloignés. Des bassins de vie se créent ainsi alimentés par d'incessants mouvements de populations laborieuses entre villes moyennes, métropoles régionales et métropoles nationales.

Il convient également de souligner la présence dans cet espace d'une véritable conurbation, qui n'atteint certes pas, les continuums urbains japonais ou ouest-américains, mais qui se détache nettement du côté français de la zone. Lille, Roubaix-Tourcoing forment un espace urbanisé en continu, longtemps remarquable à l'échelle de la France. Le développement des intercommunalités, des aires métropolitaines et l'urbanisation galopante aux abords des agglomérations tendent à faire oublier cette particularité du territoire national.

À ces fortes densités de population présentes dans les espaces urbains de part et d'autre de la Manche, s'ajoute une forte attractivité des littoraux.

3. Les littoraux, espaces sous pression

À l'échelle fine des communes en France et des Middle Layer Super Output Areas anglais (MSOAs), on peut observer la très forte attractivité des littoraux.

Éléments de définition

Suite au recensement de 2001, pour mieux comprendre les changements démographiques, normaliser la taille des populations sur lesquelles portaient les analyses en tenant compte d'une certaine homogénéité sociale, l'Office of National Survey a défini des unités spatiales de tailles réduites : les Middle Layer Super Output Area (MSOA) dont la population de chacune d'entre elles est comprise entre 1 500 et 5 000 habitants et les Lower Layer Super Output Area (LSOA) dont la population varie entre 1 000 et 3 000 habitants. Ces mêmes découpages ont été utilisés lors du recensement de 2011 permettant ainsi un véritable suivi des évolutions sociodémographiques britanniques.

De tous temps, ces interfaces entre terre et mer ont accueilli les populations et leurs activités de pêche, de commerce et plus généralement d'échanges. Dans l'espace Manche, la particularité géographique de la zone est de présenter un corridor encadré par deux littoraux très similaires qui se font face. Aux échanges traditionnels d'hommes et de marchandises et aux activités liées directement à l'exploitation de la ressource marine, s'ajoute l'attrait des paysages et du cadre de vie qui ont fait de cet espace, le berceau du tourisme mondial. Les stations balnéaires développées sous l'impulsion de l'aristocratie anglaise et française, s'égrènent tout au long des littoraux aux reliefs variés, dans ces criques et abers, dans ces baies et estuaires. Sites d'abris privilégiés pour les marins, les littoraux de l'espace Manche sont ponctués de ports de pêche et de grands ports industriels de marchandises et de liaisons entre les deux rives de la Manche.

Ces littoraux sous pression qui combinent installations touristiques et industrielles sont des zones propices à la concentration de population et les densités que l'on peut y observer témoignent de cet intérêt sans cesse renouvelé.

À l'inverse de tous ces espaces de fortes concentrations de population, en négatif de cette photographie, s'affichent les espaces de faibles densités.

4. Les espaces de « vide »

Ces zones très faiblement peuplées ne sont pas pour autant vides d'hommes et d'activités. Elles correspondent à des espaces ruraux où les populations sont moins concentrées et où l'activité agricole, consommatrice d'espaces, domine. Les grandes plaines de l'Eure, les collines de l'Artois ou le centre de la Cornouaille anglaise et le centre Bretagne sont des espaces vides de population. Les espaces naturels protégés que sont les parcs naturels régionaux, de part et d'autre de la Manche, tels le Parc naturel du Perche ou d'Armorique, le New Forest côté anglais sont des espaces préservés et peu peuplés.

Cette répartition de la population à l'échelle des communes et des MSOAs permet de dresser à grands traits le portrait de cet espace Manche en révélant les fortes similitudes dans l'organisation spatiale des deux rives de la Manche.

Deux grandes métropoles nationales au rayonnement international, des métropoles régionales et des petits bourgs relais, des littoraux sous pression à la fois espaces de détente, de loisirs et espaces concentrant une forte activité industrielle et maritime et enfin des espaces préservés ou voués à l'activité agricole ou au maintien d’une biodiversité dessinent un patchwork de paysages, reflet de l'organisation socio-spatiale des territoires transmanche.


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