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La dénonciation de la Convention de Londres menace la pêche en Manche (2017)
Auteur : Frédérique Turbout

Le 2 juillet 2017, le gouvernement britannique par la voix de son premier ministre Theresa May a annoncé sa volonté de mettre fin à la Convention de Londres concernant la définition des zones de pêche. Cette annonce satisfait pleinement les associations de pêcheurs britanniques, majoritairement pro-Brexit, dont la Fédération nationale britannique des organisations de pêche (NFFO). Le Royaume-Uni souhaite ainsi retrouver le contrôle exclusif des droits de pêche à proximité de ses côtes. La dénonciation de la Convention de Londres se fait par anticipation à la sortie des Britanniques de l'Union européenne, le délai légal de dénonciation étant lui aussi fixé à deux ans. En renonçant à cette convention, le Royaume-Uni pourra repartir sur de nouvelles bases de négociations. Cette annonce suscite de vives inquiétudes dans le monde de la pêche et les pays membres de l'Union Européenne.

1. Retour sur les principes de la Convention de Londres

1.1. Les échecs antérieurs à la définition de la mer territoriale

En 1958 s'était tenue à Genève la première conférence diplomatique sur le droit de la mer. Cette première étape avait permis d'élaborer quatre conventions qui constituent encore aujourd'hui les bases du droit international de la mer.

Ces quatre conventions établissaient les lois relatives au plateau continental, à la haute mer, à la pêche et la conservation des ressources de la haute mer et enfin les lois relatives à la définition de la mer territoriale et de sa zone contiguë en matière de droits d'usages. Sur ce dernier point, cette première conférence n'aboutit pas à un consensus. Une nouvelle tentative en 1960 fut également un échec car deux points de vue s'affrontaient : d'un côté le principe de liberté des mers et de l'autre celui de la nécessaire satisfaction des besoins de subsistance et de développement des États. Cette question de définition de la mer territoriale mettait en jeu des intérêts économiques et rendait difficile la définition d'une limite juridique unique et réservée à l'exclusivité juridique de l’État souverain.

De nombreux États ont alors décidé de résoudre le problème en fixant eux-mêmes leur propre législation :

  • soit une extension de leur mer territoriale à 12 milles nautiques ou au-delà pour certains,
  • soit la réservation d'une zone de pêche dans cette limite des 12 milles.

Beaucoup de pays choisirent cette dernière façon de procéder, leur permettant ainsi de conserver une zone réservée à leurs activités de pêche. Dans certaines zones exiguës, dans certains passages par exemple des protestations s’élevèrent qui furent réglées par des accords bilatéraux. Dans la mer de la Manche et la mer du Nord, chacun souhaitant protéger ses intérêts particulièrement face à la concurrence des autres flottilles de pays non membres de l'Union européenne.

Jusque là, le Royaume-Uni, la France, la RFA, la Belgique, le Danemark et les Pays-Bas s'étaient réservés pour leur propre pêche la zone maritime s'étendant de la laisse de basse mer à trois milles, zonage défini par la Convention de La Haye de 1882. Le Royaume-Uni décida de dénoncer cette convention en avril 1963 et proposa une conférence réunissant les six pays de la CEE et les sept pays membres de l'association européenne de libre-échange. Le 3 décembre 1963 s'ouvrait la Conférence de Londres.

1.2. La Conférence de Londres et la définition des zones de pêche

Trois aspects ont dominé la Conférence de Londres : d'une part la liberté de pêche et d'accès aux fonds de pêche, d'autre part l'accès aux marchés et enfin la police des pêcheries. De cette convention est née un découpage de la mer territoriale en plusieurs zones :

  • une zone entre la laisse de basse mer et 6 milles réservée à l’État riverain et où aucune pêche étrangère ne sera tolérée ;
  • une zone entre 6 et 12 milles réservée à l’État riverain et l’État pêcheur signataire de la convention sous réserve que l'effort de pêche porte sur des stocks de poisson ou des lieux de pêche qui ne diffèrent pas de ceux qu'ils avaient l'habitude d'exploiter jusqu'alors.

À ces deux définitions furent ajoutéesr de nombreuses exceptions dont celle entre la France et le Royaume-Uni : la pêche fut autorisée dans la zone entre 6 et12 milles sans limitations aux activités habituelles, voire en deçà de cette limite, donc dans les eaux territoriales entre 3 et 6 milles comme dans la baie de Granville et dans les îles Minquiers et Tirehous. En définissant ainsi les limites de pêche accordées aux membres signataires de la convention et les éventuels aménagements liés aux conditions souvent géographiques et de bonne entente, la Convention de Londres fixa les règles de la pêche dans les eaux territoriales européennes. Le relais fut ensuite pris par la politique européenne de la pêche qui institua les règles de non-discrimination entre États et accorda le droit à tous les pêcheurs européens des États membres de pêcher même dans la limite des eaux territoriales des autres États membres, en deçà des 6 milles. Seule la zone des 3 milles fut réservée à l’État souverain.

La Convention de Londres fut alors mise en sommeil.

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2. Et demain, quelle pêche en Manche et mer du Nord ?

S'il est pour lors difficile de répondre à cette question, il est incontestable que la sortie du Royaume-Uni de l'UE et de la Convention de Londres porte un coup dur aux États voisins pêcheurs.

Les pêcheurs des États membres n'auront plus la possibilité de pêcher dans les eaux britanniques très poissonneuses, le manque à gagner est conséquent, les spécialistes du domaine estiment que 10 000 tonnes de poissons ont ainsi été pêchées en 2015 dans les eaux britanniques par la flotte des États membres de l'UE. La filière pêche est en danger, particulièrement dans les ports de l'espace Manche, côté français. 30 ports français sont concernés par cette mesure, soit 54 % de la valeur des prises débarquées à Cherbourg, 53 % à Roscoff et 43 % à Boulogne-sur-Mer par exemple.

La filière toute entière est menacée, des armements risquent de faire faillite, la pêche dans les zones britanniques représentant environ 170 millions d'euros, soit 30 % du chiffre d'affaires des chalutiers français.

La filière agro-alimentaire risque d'être également impactée. Rappelons que la Normandie est la seconde région pour la transformation industrielle du poisson et que cette filière emploi 5 % des salariés normands.

De même, les zones de pêche vont devoir changer et les pêcheurs vont se déplacer vers des zones déjà très fréquentées, voire en surpêche. La gestion des quotas va poser problème car les Britanniques n'y seront plus soumis. Comment dans ces conditions gérer durablement la ressource ?

La politique commune de la pêche permettait de garantir la ressource, d'assurer une concurrence équilibrée et de limiter la surpêche.

Côté anglais, les conséquences ne sont pas non plus négligeables : si le Royaume-Uni récupère le contrôle de ses zones de pêches et de ses eaux territoriales, en contrepartie, elle risque de se fermer des marchés. La moitié du produit de la pêche britannique est commercialisée dans les pays membres de l'UE, le risque est donc important de se voir imposer une taxation prohibitive et une fermeture des marchés européens. De même, en fermant l'accès à ses eaux territoriales, elle se ferme également l'accès aux eaux territoriales de ses voisins.

 

Les prochaines négociations en vue du Brexit laissent entrevoir des discussions serrées en matière de pêche, la Manche et la Mer du Nord seront directement impactées par l'issue de ces négociations. La filière pêche est une activité majeure de l'espace Manche, son avenir semble pour lors bien assombri.


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