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Trafic marchandises Le transport maritime transmanche à l'épreuve du Brexit et de la pandémie La situation du transport maritime de marchandises a été fortement chahuté ces derniers mois par une crise sanitaire sans précédent qui se poursuit encore, par des tensions sur la scène nationale et internationale et par le feuilleton à rebondissement du Brexit. Dans ce contexte particulier, il apparaît nécessaire de dresser le bilan du transport maritime avant que n'éclate l'épidémie de Covid-19 pour permettre de rendre compte des premiers impacts de la crise et mesurer ainsi l'ampleur à plus long terme des effets cumulés de cette pandémie, du Brexit et des tensions économiques et politiques actuelles sur un secteur d'activité que l'on sait fortement dépendant de la situation géopolitique et économique internationale. En 2018, à l'échelle du monde, le transport maritime subissait les premiers impacts de tensions sur le marché du pétrole et de guerre commerciale sino-américaine. À l'échelle de la Manche, le Brexit et ses atermoiements successifs n'inclinaient pas les opérateurs transmanche à investir sur cet axe maritime majeur, les directives environnementales concernant les modes de propulsion de l'année précédente les avaient déjà obligé à de lourds investissements. À l'échelle des ports transmanche, les situations ont évidemment été imprégnées de ce contexte bi-national et international, les résultats en portent les stigmates, mais souvent compensés par des activités de niches qui progressent, au moins pour l'année 2018. En 2019, les mauvais résultats du dernier trimestre ont impacté l'ensemble du trafic maritime, comme en témoignent les études publiées pas les services du Ministère de la Transition écologique. Crise sociale des gilets jaunes, grèves répétées, tensions sur la scène internationale qui conduisent à un ralentissement des échanges, multiples tergiversations autour de l'issue du Brexit et en point d'orgue, crise sanitaire mondiale sont évidemment des évènements qui ont impacté directement le trafic des ports transmanche, tant dans les échanges de fret que, bien évidemment dans le transport de passagers, ou bien dans le domaine de la croisière. Le redémarrage se fait attendre et les derniers résultats disponibles pour l'année 2020 au moment ou cette étude est réalisée ne montrent aucun signe de reprise, au contraire, la baisse se poursuit. Alors que la pandémie sévit toujours, les États mesurent combien la dépendance de leurs économies est forte vis-à vis de l'atelier du monde qu'est la Chine. Le ralentissement des échanges imposé par le nécessaire confinement des pays face au virus impacte le commerce international et par ricochet celui du transport maritime. Quel avenir se dessine à l'aube de cette crise, après un Brexit négocié sur le fil et une sortie du Royaume-Uni de l'Union Européenne effective au 1er janvier 2021 et dans un contexte de replis de certains secteurs du transport maritime ? Les ports de l'espace Manche sauront-ils résister à cette nouvelle crise sans précédent depuis plus de 10 ans ? Toutes ces interrogations nécessitent de dresser l'état des lieux d'avant crise, notamment dans les ports transmanche fortement concurrencés par les grands complexes portuaires du Range Nord. 1 – Des contextes nationaux et internationaux sous tensionLe contexte international, comme nous l'avons souligné précédemment est fortement impactant pour les échanges maritimes, même si, rappelons-le, 80 % des marchandises empruntent à un moment ou un autre de leur trajet planétaire, la voie maritime. L'année 2018 a été une année que l'on pourrait qualifiée de « moyenne » pour le transport maritime. Ni bonne, ni mauvaise, elle a affiché des résultats en demi-teinte. Il faut dire que deux secteurs clefs du transport de marchandises ont été soumis à de fortes tensions, d'une part celui du transport d'hydrocarbures et d'autre part celui du transport conteneurisé. La géographie du transport pétrolier à l'échelle mondiale est en cours de modification. La production américaine de pétrole de schiste est amenée à se développer dans les prochaines années, selon les spécialistes, redessinant ainsi les routes maritimes du pétrole. Les concurrences sont fortes entre pays producteurs et ces mêmes spécialistes s'accordent à dire qu'à cours terme, les États-Unis seront le 4ème joueur sur l'échiquier pétrolier mondial avec des niveaux de production en brut qui lui permettront de doubler son volume d'exportations actuel pour atteindre plus de 4 millions de barils par jour. Cependant les Pays producteurs de l'OPEP n'ont pas dit leur dernier mot...le pétrole reste une marchandise clef de l'économie mondiale dont le moindre tremblement impacte l'ensemble de l'économie. Face aux baisses des cours, liées à une baisse de la demande américaine dont la production est abondante, les pays de l'OPEP ont fermé les robinets de brut pour maintenir le cours du baril de pétrole. La politique américaine et les tensions avec la Chine ont également un réel impact sur le trafic maritime. Le déficit commercial que les États-Unis entretiennent avec le géant chinois est à la source de ces tensions et des mesures coercitives de l’administration Trump à l'égard des produits chinois. Les provocations des uns alimentent les réactions d'hostilité des autres et les effets s'en ressentent sur le marché mondial, avec en arrière plan la dette américaine dont la Chine est le 1er créancier et pour laquelle elle menace d'arrêter les prêts et de vendre ses bons du trésor américain. Selon Gilles Vandal, spécialiste de politique internationale, les effets de cette politique trumpiste sont inefficaces, voire nocifs. Le marché pétrolier frissonne aussi de ces tensions sino-américaines, misant sur une potentielle baisse de la consommation énergétique consécutive d'un ralentissement des échanges et de l'escalade des tensions entre les deux pays. À l'échelle du transport maritime, les tensions impactent notamment les ports européens, ralentissant les échanges de marchandises fortement taxées. Ces mêmes ports subissent également les multiples hésitations du Brexit et les tensions sociales dans les différents États, notamment en France avec la crise des gilets jaunes. Les importations et exportations ont eu tendance à ralentir, notamment les échanges de pétrole en provenance du Moyen-Orient. C'est dans ce contexte mitigé, de tensions économiques et sociales, qui ont particulièrement affecté les résultats 2019 qu'a éclaté la crise sanitaire de la Covid-19. 2 – De 2018, une année en demi teinte à 2019 et les débuts de la crise sanitaireOn pourrait résumer les résultats de l'année 2018 de la façon suivante : « bien, mais peu mieux faire ». En effet, le trafic ne s'est accru que de 2 % contre presque 6 % sur la période précédente 2016-2017. Si ces chiffres laissaient présager une légère baisse de l'activité liée avant tout au contexte international et aux tensions internes, rien ne permettait de prédire la situation à venir face à la pandémie mondiale et les résultats de 2019 et 2020. 2.1. Le pétrole, un secteur cléEn 2018, la surproduction guettait les pays producteurs, OPEP + comme États-Unis, l'objectif commun étant de maintenir le cours du baril. En France, les fermetures des raffineries de Petit-Couronne et de Dunkerque et les menaces de fermeture à venir ont fait reculer le trafic de vracs liquides. Les importations de produits raffinés ont au contraire progressé alors que le pétrole brut reculait. Les chutes de la consommation de pétrole liée à une baisse des échanges et notamment en provenance de « l'atelier » chinois durant la crise sanitaire n'ont fait qu'accentuer une baisse du cours du pétrole, encouragé par les tensions entre les pays producteurs de l'OPEP+. Entre 2018 et début 2020, la production s'est poursuivie, notamment aux États-Unis et la crise n'a pas permis d'écouler la production surabondante. On estime que 10 % des pétroliers américains ont servis à stocker cette surproduction en 2020. Côté OPEP+, les pays se sont entendus pour limiter la production et éviter une chute du cours du baril, qui néanmoins a dégringolé entre janvier 2020 et avril, en plein cœur de la première vague de la pandémie. En janvier 2020, la baril était à 65 $ US, en avril il avait chuté à 20 $US, pour remonter en septembre à 40 $ et atteindre difficilement les 50 $ en ce début d'année 2021. 2.2. Le maintien du vrac, la baisse du conteneurÀ l'inverse des hydrocarbures, en 2018 les vracs secs ont progressé. Ces bons résultats s'expliquent par la reprise du BTP et des grands travaux, mais aussi, par les bons résultats affichés par les céréales au regard des très mauvais résultats de 2017. Comme cela est souvent le cas pour cette marchandise, les bonnes récoltes de 2018 et 2019 ont permis de booster les échanges de vracs céréaliers. Dans l'espace Manche, Rouen, port céréalier par excellence de la façade Manche s'en est sorti avec de très bons résultats et près de 7,6 millions de tonnes de céréales exportées en 2018. Par contre, le mauvais résultat est venu du conteneur. Trafic phare et vedette de bien des ports dans le monde, le trafic conteneur a légèrement reculé. Au Havre par exemple, dès 2018 on observait de légers frémissements du trafic. Cette baisse s'est confirmée en 2019 comme nous le verrons dans la suite de ce propos. La crise de la Covid-19 a ajouté à une baisse déjà grevée par la baisse des échanges, particulièrement au départ des ports chinois. Dans l'espace Manche, le trafic fret roulier suspendu à l'issu du Brexit et aux hésitations répétées du voisin britannique s'est maintenu, voire a augmenté, notamment à l'approche de la première échéance d'octobre 2019, puis celle de fin 2020. Enfin les ports secondaires se sont fort heureusement maintenus et ceci grâce au trafic de niches. C'est le cas par exemple de Boulogne-sur-Mer avec le trafic de chaux ou bien encore de Fécamp avec celui des graves de mer. Au final, l'année 2019 qui avait permis de maintenir un trafic mis à mal par les tensions internationales entre les grandes puissances chinoises et américaines, mais aussi par les changements de la sphère pétrolière en surproduction s'est achevée par un arrêt complet de l'économie mondiale et des échanges. Les chiffres du quatrième trimestre 2019 illustrent cet arrêt brutal, particulièrement dans les échanges d'hydrocarbures et de conteneurs. 2020 ne fait que creuser les écarts, ponctuée de « stop and go » de l'économie au fur et à mesure de la progression ou de la régression de la pandémie aux quatre coins du globe. 3. 2020, année noireLa crise que connaissent les pays du globe marque un coup d'arrêt brutal aux échanges dans un monde globalisé. Tous les secteurs du transport s'en trouvent affectés. Le transport maritime transmanche n'échappe pas à cela. Premier couloir de circulation maritime au monde, il est en première ligne pour mesurer l'impact de la crise sanitaire sur ce secteur de l'économie mondialisée. Début mars 2020, 50 % des départs de navires commerciaux des ports chinois ont été annulés. Les taux de remplissage des rares navires appareillant des ports chinois ne dépassaient pas les 30 %. Cet arrêt du trafic a entraîné des ruptures dans les chaînes d’approvisionnement, des pénuries en bout de chaîne, des entreprises à l'arrêt. En parallèle, l'arrêt du transport aérien a occasionné une baisse de la consommation d'hydrocarbures, donc de la demande et par effet ricochet des cours du pétrole et des approvisionnements, se soldant en bout de chaîne par un recul du trafic maritime d'hydrocarbures. Les VLCC (Very Large Crude Carriers) deviennent alors des cuves de stockage flottantes, sortes de « stations services » en pleine mer. Les pétroliers s'entassent devant les ports du monde, comme ce fut le cas à Fos ou au Havre. Le trafic de marchandises vracs liquides ou solides dépendent du lieu de production, certaines chaînes se coupant brutalement face aux fermetures des frontières, les échanges sont à l'arrêt. Le trafic conteneur est en chute libre, de moins 20 % sur certaines lignes, il est réduit de moitié entre Asie et Europe ou Amériques. La reprise des échanges au sortir du confinement en avril 2020 a toutefois permis une reprise de l'activité, notamment grâce à la Chine qui a retrouvé sa place sur l'échiquier du commerce international. Depuis, les échanges se maintiennent et le trafic reprend peu à peu. Ce n'est pas le cas de l'ensemble du trafic maritime, dès lors qu'il concerne le transport d'individus, le trafic maritime est en berne. Refoulée des ports, mise en quarantaine, interdite d'escales, la croisière est ainsi à l'arrêt. En avril 2020, ce sont presque 300 navires qui sont ainsi à l'arrêt dans le monde. Si la sortie du confinement en juillet 2020 relance un premier navire de croisière en Méditerranée, les reprises de la pandémie limitent totalement la relance de cette activité. Les navires s'ancrent, à l'arrêt dans les ports. Les ports de l'espace Manche, dans lesquels l'activité de croisière devenait une branche importante de leurs revenus, sont évidemment touchés de plein fouet par l'arrêt de cette filière. Les navires sont stockés dans les ports, comme c'est le cas à Caen par exemple, avec les navires de Britanny Ferries. Les liaisons ferry sont arrêtées sur certaines lignes, et dans le cas du transmanche, le trafic passagers a été totalement stoppé jusqu’à l'été 2020. Relancé en période estivale pour quelques semaines sous conditions sanitaires draconiennes, il a été à nouveau interrompu brutalement en fin d'année avec l'apparition d'une mutation du virus extrêmement contaminant. Pour les compagnies ferry, cela signifie la mise au chômage partiel d'une partie de son personnel. Cependant, le maintien du trafic fret et l'embellie de ce dernier à quelques semaines de l'échéance du Brexit a permis aux compagnies transmanche de maintenir une activité, même limitée. En ce début janvier 2021, les échanges marchandises se maintiennent mais les procédures douanières issues des accords du Brexit viennent alourdir fortement un trafic pour lequel, jusque là, le mot d'ordre était « fluidité ». Ce n'est plus le cas et certains opérateurs anticipent d'ores et déjà des besoins en liaisons au départ du voisin irlandais, pour faciliter les échanges et les formalités des transporteurs et des entreprises. Quant au Tunnel sous la Manche et à l'opérateur Getlink qui assure via Eurotunnel, le trafic fret, comme pour les lignes classiques ferry, le fret a permis de maintenir une activité, voire d’enregistrer des hausses de trafic fin 2020. À l'inverse, la compagnie Eurostar qui assure les liaisons passagers est en grande difficulté du fait de l'arrêt quasi total de son trafic. Elle affirme que faute d'une aide rapide des gouvernements français ou britannique, elle sera en cessation de paiement au printemps 2021. 4 – Les ports transmanche, une situation hétérogène
Carte n°1 : Trafic fret des ports transmanche en 2018
Source : ONS, statistiques des ports, Le Marin, 2019.
4.1. Vision globale du fret transmanchePour l'année 2018, le trafic fret maritime des ports transmanche a été de 377,7 millions de tonnes contre 361 millions en 2015. Le trafic a progressé, mais les disparités restent fortes entre ports et entre segments du trafic portuaire. Au total, côté français, 204,4 millions de marchandises ont été traitées, soit presque 55 % du trafic maritime total français ; côté anglais, on est un peu en deçà en terme de part de marché, ainsi avec 173,3 millions de tonnes de fret contre 166,8 en 2015, les ports anglais transmanche représentent presque 36 % du trafic maritime total anglais. Ce trafic transmanche est pour l'essentiel répartis entre 8 grands ports de part et d'autre de la Manche qui a eux seuls totalisent 88 % du trafic total des ports transmanche, les autres ports se répartissant très inégalement les tonnages restants.
Tableau n°1 : Trafic fret des ports transmanche 2018
Sources : ONS, statistiques des ports, 2020.
Côté français, les quatre grands ports du Havre, de Dunkerque, de Calais et de Rouen représentent 94 % du trafic fret français transmanche et la moitié du trafic fret des ports français. Côté anglais du Channel, Londres, Felixstowe, Southampton ou Dover totalisent 81,3 % du trafic fret anglais transmanche et presque un tiers du trafic total des ports du Royaume-Uni. La Manche s'impose toujours comme un couloir majeur du trafic maritime, une artère indispensable aux échanges, non seulement via les ports transmanche, mais au-delà, vers les ports du Range Nord et la Baltique. Au fil du temps, des évolutions économiques et politiques, les ports ont adaptés leurs activités en confortant certaines branches spécifiques et en se spécialisant sur certains produits de niches. Ils ont également su tirer parti d'associations leur permettant de gagner en compétitivité, en efficacité, en rentabilité tout en permettant une diversification de leurs offres de services. Les ports rouliers ont continué à progresser et les échanges transmanche se sont maintenus, voire amplifiés, et ce malgré la reprise du fret via le Tunnel sous la Manche et les multiples changements des opérateurs ferry. D'aucun pensait que le trafic fret serait soumis à forte concurrence avec la mise en service et le roulement des navettes ferroviaires du Tunnel, il s'est en fait avéré dans la pratique que le temps de traversée bateau était un atout et qu'il était mis à profit par les opérateurs routiers pour le repos des chauffeurs et participaient ainsi à un transport rentable des marchandises transmanche. Le trafic conteneur est, quant à lui, le grand gagnant de la croissance du fret dans les ports transmanche qui sont en capacité d'accueillir ce type de fret. Tous les ports ne sont pas logés à la même enseigne et ne disposent pas des infrastructures nécessaires à l'accueil de navires dont les capacités n'ont eu de cesse d'augmenter. Les ports doivent aujourd'hui être en capacité d'accueillir ces géants des mers et proposer non seulement des quais adaptés mais également des portiques de déchargement et des espaces dédiés à l'entreposage des « boîtes » suffisants. Le port du Havre a ainsi accueilli le 21 juin 2019 son premier navire d'une capacité de 23 656 EVP, le MSC Mina accueilli au terminal TNMSC de Port 2000. Face à ces capacités hors normes, les ports doivent également être à même de drainer les marchandises débarquées via un hinterland interconnecté et favorisant la multimodalité. Ces considérations logistiques limitent dans l'espace Manche, le nombre de candidat potentiel à de telle réception de porte-conteneurs. Seuls Le Havre, Southampton, voir Dunkerque peuvent accueillir des navires de ce type, souvent de moindre taille. Pour les autres ports, l'essentiel du trafic fret est assuré par des produits très spécifiques, des marchés de niche, fortement dépendant des activités des entreprises implantées régionalement. 4.2. - Les ports français transmanche à la loupeDans ce vaste ensemble portuaire transmanche, il faut distinguer deux grands types de ports et d'activité fret, d'une part en fonction des tonnages échangés et d'autre part en fonction des types de marchandises transbordées. Dans cet ensemble, les ports du Havre, de Calais et de Dunkerque se distinguent de leurs homologues transmanche français et côté britannique, les ports de Southampton, Felixstowe ou Dover font office de tête de pont des échanges anglais vers le reste du continent européen. Les hésitations du Brexit, les scenarii de l'impossible et la crainte des investisseurs et des entrepreneurs de part et d'autre du Transmanche ont contribué à perturber les échanges des ports transmanche. La pandémie actuelle ajoute une contrainte supplémentaire dans le paysage économique du transport maritime transmanche, déjà soumis à rude épreuve.
Avec un trafic global pour l'année 2018 de 51,6 millions de tonnes, en 2018 accusant une hausse sensible de son trafic par rapport à l'année précédente, Dunkerque est avant tout un port de trafic vrac, solide ou liquide. La proximité d'Acelor Mittal a permis au port de maintenir un trafic de vracs solides conséquent de même que le trafic de vracs liquides et plus particulièrement de GNL poursuivait une courbe ascendante. En revanche, les échanges transmanche étaient en chute, tant pour le fret que pour les passagers. On peut y voir les premiers signes du repli du trafic dû au Brexit, lequel s'est soldé dans les dernières semaines avant accord, par une croissance des traversées de camions entre les deux rives de la Manche, en prévision de pénuries tant redoutées. En 2019, le trafic s'élève à 52,6 millions de tonnes, donc légère hausse par rapport au trafic fret enregistré en 2018. Ce grand port français, 3èmeport de l'Hexagone, assure une grande part de son trafic grâce à la proximité d'AcelorMittal et à la montée en puissance du GNL. La crise sanitaire impacte évidemment le trafic transmanche et les échanges fret et passagers mais le port résiste cependant relativement bien et enregistre une baisse de l'ordre de 10,5 % pour les deux premiers trimestres 2020 par rapport aux mêmes trimestres 2019.
Premier port en terme de tonnage de l'espace Manche, Le Havre a enregistré 71,7 millions de tonnes de trafic fret en 2018. En légère baisse par rapport à 2015 (74 millions de tonnes transbordées), le fret havrais a connu en 2018 un repli de certains produits. Ce fut le cas du trafic vrac solide grévé par des importations de charbon en chute de 73 %, le vrac liquide a reculé également comme dans de nombreux autres ports français ; cela est dû en grande partie au recul des importations de pétrole brut (- 9 %), alors que le pétrole raffiné affichait encore une progression de près de 8 %, ce qui a permis néanmoins de compenser les pertes. On a observé également un très léger recul des conteneurs en tonnage, même si le nombre de boîtes était resté stable. Le trafic roulier, quant à lui était en hausse grâce aux importations et exportations d'automobiles. Cette relative stabilité est remise en cause dans les résultats affichés par le port en 2019 et plus particulièrement au dernier trimestre. Le port du Havre affiche ainsi pour l'année 2019 un trafic de 65,8 millions de tonnes. Le repli du trafic fret est de l'ordre de 5,9 millions de tonnes. Les deux premiers trimestres de 2020 montrent que la baisse du trafic se poursuit en comparaison des deux mêmes trimestres 2019 ; la baisse est de l'ordre de 7,8 millions de tonnes, soit presque 23 % de baisse. Une fois de plus, la crise sanitaire est une des causes de cette baisse à laquelle il faut ajouter le repli du trafic conteneur lié à la fois aux tensions géopolitiques et à la baisse de la consommation et des échanges en période de confinements répétés.
L'année 2018 marque pour le port de Calais, un recul du trafic transmanche, notamment à cause des avaries du navire P&O « Pride of Kent ». La baisse du trafic total fret s'établit à près de – 9 % pour un total de 46,1 millions de tonnes de fret échangé. 1,9 millions de camions ont transité sur la ligne Calais-Douvres, ainsi que 9 millions de passagers. En 2019, la baisse s'est poursuivie, avec un fret total de quelques 44 millions de tonnes. Les atermoiements du Brexit peuvent expliquer en partie cette baisse et les premiers chiffres des deux premiers trimestres 2020, en pleine crise Covid témoignent d'une poursuite du repli du trafic. Ainsi, sur les deux premiers trimestres 2020, 20,3 millions de tonnes ont été échangées, soit une baisse de l'ordre de 11 % par rapport au deux premiers trimestres 2019. Les nouvelles directives en matière d'échanges commerciaux associées aux contraintes imposées par la crise sanitaire risquent d'impacter fortement le trafic fret du port et de fragiliser les compagnies présentes sur le détroit.
Le trafic fret du port de Rouen est lié fortement au principal produit échangé dans ce port que sont les céréales est évidemment lié aux rendements de productions agricoles. Ainsi, l'année 2018 fut elle exceptionnelle avec près de 7,6 millions de tonnes échangées. Grâce à ce trafic et cela, alors même que le trafic de vracs liquides a été fortement impacté par la fermeture des raffineries, le port de Rouen sort son épingle du jeu. Des ports normands, Rouen est le seul a enregistré une hausse de son fret (+ 4,5 %) au quatrième trimestre 2019, et ce trafic se maintient en 2020 et progresse même. Cependant les premiers résultats des productions céréalières laissent présager une baisse à venir du trafic. Cette baisse pourrait être due d'une part à la baisse des productions céréalières due à une météo moins clémente que les années précédentes, et d'autre part, de la Chine, de l'Algérie ou de l'Argentine.
Cette catégorie regroupe les ports français transmanche dont le trafic ne dépasse pas 5 millions de tonnes. Le port de Caen, dans sa partie amont est de cela. Avec un total de quelques 3,2 millions de tonnes de fret échangés en 2018, le port amont a maintenu un trafic de niches autour de produits tels que les céréales, la nourriture animale, les engrais, le bois exotique ou de vracs solides type bentonite, ciment ou ferraille. À l'inverse, le trafic fret transmanche a reculé de près de 7,4 % avec un total de 2,6 millions de tonnes en 2018 pour 920 000 passagers transportés. La crise de la Covid-19 a entraîné un quasi arrêt de certains échanges, notamment de bois exotiques en provenance du Brésil mais l'embellie du trafic céréalier a permis le maintien d'une activité au ralenti. Un zoom sur ce port permet de rendre compte de la complexité du trafic dans l'espace Manche pour ces ports de catégorie moyenne aux trafics variés, dépendants du contexte proche, de leurs hinterlands et de l'international.
Cherbourg, avec un trafic total de 1, 5 millions de tonnes en 2018 a été affecté par l'arrêt de certains trafics, notamment celui du charbon. L'essentiel du trafic en 2018 étant tourné vers le transmanche, il est en net recul avec une baisse de 7,6 % pour le fret et -1,2 % pour le trafic passagers. La pandémie a évidemment entraîné un arrêt des échanges transmanche. Les perspectives de s'inscrire dans un avenir proche comme le port éolien de l'espace Manche permet d'envisager une relance des activités portuaires et d'ouvrir de nouvelles voies de développement pour ce port à l'avant-poste sur la Manche Les ports bretons en 2018 ont enregistré de bons résultats sur le transmanche. Ainsi Saint-Malo avec un trafic fret de 1,7 millions de tonnes maintient une activité de roulier. Roscoff à l'identique, augmente très légèrement son trafic fret par rapport à 2017 avec 458 693 tonnes de fret. L'essentiel de l'activité est liée au trafic ferry et notamment à l'envolée du trafic passagers et fret vers l'Irlande. Les récents accords du Brexit peuvent ouvrir de nouvelles perspectives en matières de transport fret et passagers vers cette destination et les ports de Cork et de Rosslare, peut-être futures portes d'entrée et de sortie des marchandises à destination de l'Irlande et du Royaume-Uni. C'est là un enjeu majeur pour ces ports et une éventuelle bouée d'oxygène face aux baisses des trafics passagers imposées par la crise sanitaire actuelle. Enfin les ports de Saint-Brieuc, du Légué et de Lézardrieux restent des ports de très faibles trafics fret, souvent monotype, dont les tonnages de dépassent pas les 100 000 tonnes. Peu accessibles et dépendants fortement de leurs hinterlands, ces ports secondaires maintiennent leur activité, même si, comme c'est le cas pour Saint-Brieuc, le trafic fret est à la peine depuis de nombreuses années. 4.3. De l'autre côté du Channel, les ports anglais dans la brumeLa lecture des derniers résultats transmis par les autorités britanniques concernant le trafic fret des ports transmanche est sans appel, la tendance est à la baisse généralisée de tous les trafics, tant fret que passagers. L'accumulation des contraintes extérieures tel que le Brexit ou la crise sanitaire ou bien encore les tensions sino-américaines impactent nécessairement ces ports. Comme leurs homologues français, le dernier trimestre 2020 risque de révéler une forte hausse du trafic fret. La perspective d'un Brexit sans accord jusqu'à la fin décembre 2020 a encouragé un trafic de « sécurisation des approvisionnements », par crainte d'une éventuelle pénurie, d'un ralentissement des échanges si le no-deal constituait l'issue finale à quatre ans de négociations. Fort heureusement un accord ayant été trouvé, on peut espérer un maintien des échanges, même si quinze jours après la mise en pratique de cet accord, des premiers signes de ralentissement commencent à se faire sentir, non par baisse des importations ou exportations mais pour cause de lourdeur des procédures douanières et sanitaires. Les prochaines semaines seront déterminantes pour juger de l'évolution du trafic fret anglais transmanche. L'épidémie de la Covid vient également secouer des situations déjà incertaines, et les « stop and go » liés à l'évolution de l'épidémie impactent fortement le trafic passagers. Cette année 2020 pèsera lourd dans le bilan des économies mondiales, le transport maritime sera nécessairement impacté et avec lui, toute la chaîne du transport, de la construction des navires à la logistique, ainsi que les activités qui découlent de ce transport, dont principalement le tourisme. Pourtant, le transport maritime n'est pas dans la situation dramatique que connaît son homologue aérien. Au plus fort de la pandémie, les navires ont continué à prendre la mer et ont permis d'assurer l'approvisionnement, même ralenti, des pays du globe. Au delà de l'arrêt de l'économie et de l'impact immédiat de cette crise dans tous les domaines, cette pandémie remet également en cause le mode de fonctionnement de l'économie, la dépendance à la globalisation. Elle ouvre des voies vers une possible relocalisation de l'industrie et des savoirs-faire. Elle interroge sur le tout « pétrole » face aux exigences environnementales des sociétés et aux changements de modes de vie et de consommation. Ces possibles changements, dont certains s'observent d'ores et déjà, auront un impact sur le transport maritime. Ce dernier s'adaptera nécessairement, comme il l'avait déjà fait lors de la crise de 2008. Mais, tous les ports ne sont pas égaux face à cette crise, certains résistent mieux parce que leurs hinterlands viennent les soutenir, d'autres sur des trafics de niches sont moins impactés, d'autres enfin prennent de plein fouet les effets du ralentissement de l'économie. Dans l'espace Manche, cette variété de situations s'observe, les ports aux profils variés résistent ou tentent de se relever. Les prochains mois diront ce que sera le paysage du transport maritime entre les deux rives de la Manche, notamment pour les opérateurs et le transport de passagers. Toutes les compagnies ferry résisteront-elles à cette épreuve ? Combien pourront poursuivre leurs activités ? Comment les ports secondaires vont-ils eux aussi résister à cette situation exceptionnelle ? La croisière reviendra t-elle en Manche ? Les échanges de voyageurs entre la France et l'Angleterre seront-ils en baisse et à l'inverse de ceux avec l'Irlande augmenteront-ils ? Les nouvelles habitudes de consommation en période de crise sanitaire vont-elles perdurer et impacter le transport de marchandises ? Comment les professionnels du transport vont-ils s'adapter aux nouvelles mesures liées au Brexit ? Et à quel coût ? Eurostar sera t-il toujours le lien entre Londres et Paris ? Toutes ces questions et bien d'autres encore restent en suspend et seront au cœur des enjeux de demain. Mais quelle que soit l'issue de cette période, l'espace Manche reste et restera un couloir majeur de la circulation maritime dans le monde, comme en témoigne l'état du trafic le 01 avril 2021.
Carte n°2 : Vue du trafic maritime dans l'espace Manche, le 01 avril 2021 - 12h30.
Source : Marine traffic, avril 2021.
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