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Liaisons Ferry En ce printemps 2022, le monde sort peu à peu d'une crise pandémique qui dure depuis deux ans. Des pans entiers d'une économie globalisée se sont trouvés à l'arrêt, forcés de composer avec une situation sanitaire fluctuante et des décisions imposées par les différents gouvernements et l'expansion de la maladie. La pandémie a ainsi cloué à quai de nombreux navires passagers, après que certains d'entre-eux aient été des foyers majeurs de contamination. Croisières mais aussi traversées entre deux rives ont été interrompues pour limiter les risques. Après des mois d'arrêt et une reprise soumise à des mesures draconiennes en terme de sécurité sanitaire, le trafic des ferries en mer de la Manche reprend. Jusqu'alors, seul le fret avait été assuré quand les conditions sanitaires le permettaient. Côté passagers, si les traversées ont repris quelques temps, elles restaient soumises à de fortes contraintes et aux respects stricts des décisions sanitaires des gouvernements français et britannique. Avant même le déclenchement de la pandémie, le trafic transmanche avait été contraint par les décisions et règlements issus des négociations du Brexit. Entre réaménagement des ports pour répondre aux contrôles en marge des embarquements, tant passagers que marchandises, et prévisions de congestion et de tensions sur certaines lignes, la crise sanitaire est venue clore une année 2020 du trafic transmanche particulièrement mouvementée. Pour les compagnies ferries, il a fallu résister et s'adapter aux exigences du Brexit, puis de la Covid 19, dans un climat déjà très concurrentiel, notamment au niveau du Détroit. Le retour à la quasi normalité met aujourd’hui à jour les difficultés passées inaperçues durant les deux années de crise que nous venons de traverser. Quel est aujourd'hui au lendemain de la reprise de l'activité, l'état du trafic transmanche et des compagnies opérant sur la zone ? Quelles sont les stratégies d'adaptation des compagnies maritimes et les perspectives à court terme ?
1 – Réouverture des traversées transmanche
La crise engendrée par le Brexit et la mise en place des contrôles renforcés aux frontières maritimes du Royaume-Uni avaient mis en lumière de nouvelles stratégies des transporteurs routiers pour maintenir un trafic plus fluide entre les îles britanniques et le continent européen. Le paysage classique du transmanche tel que nous le connaissions depuis plus de 20 ans s'en était trouvé bouleversé avec l'émergence d'un nouveau pôle de concentration des flux, un hub maritime, en Irlande. Ainsi, les ports de Cork, de Rosslare ou Dublin étaient devenus en quelques semaines des portes d'entrée et de sortie du fret transmanche, permettant un allègement des contrôles et des formalités douanières, et cela malgré un allongement des temps de traversées. Dès lors, la porte d'entrée sur le continent devenait le port de Cherbourg, qui en l'espace de quelques semaines avait vu son trafic fret tripler. La crise sanitaire mettra un frein à ces échanges, comme ce fut le cas pour l'ensemble du trafic maritime mondial, du moins durant le premier confinement, car rapidement les échanges de biens via la voie maritime reprendront pour ne jamais vraiment cesser. Cependant, ces échanges ne concernaient que des marchandises et les traversées de passagers étaient soumises à des restrictions sanitaires importantes ne permettant pas de retrouver une fluidité des échanges telle que nous la connaissions avant la pandémie. En ce printemps 2022, le risque sanitaire, s'il reste présent, est devenu plus gérable et les différents opérateurs transmanche en accord avec les autorités concernées ont ré-ouvert les traversées passagers entre îles britanniques et continent, misant sur une reprise de l'activité touristique. Le paysage transmanche a finalement peu évolué en deux ans, les principaux opérateurs sont toujours identiques comme on peut l'observer dans le tableau ci-dessous.
Tableau n°1 : Principaux opérateurs, routes, temps de trajet et rotations – printemps 2022
Sources : compagnies maritimes, mai 2022.
Ce sont principalement deux compagnies maritimes qui opèrent en Manche : Brittany Ferries en Manche occidentale et DFDS Seaway sur la partie orientale. Le détroit reste partagé entre DFDS, P&O et le Tunnel sous la Manche. Deux compagnies proposent des liaisons régulières vers l'Irlande, alors que deux autres compagnies se partagent les liaisons au sein des Îles Anglo-normandes. Au total, entre France et Royaume-Uni, près de 105 liaisons sont quotidiennes, 12 sont hebdomadaires et permettent de rejoindre l'Irlande depuis la France et le reste du continent. A ces liaisons classiques, il faut ajouter près de 6 liaisons depuis l'Angleterre vers l'Espagne et plus de 35 au quotidien vers les îles anglo-normandes.
2 – Les nouveautés transmanche
La principale nouveauté de ce printemps 2022 réside dans le renforcement des liaisons vers l'Irlande, situation que l'on observait déjà depuis quelques années et que le Brexit n'a fait que renforcer. L'autre nouveauté du moment est l'arrivée de DFDS sur le détroit. Ce nouvel acteur sur les liaisons Douvres – Calais vient renforcer la concurrence entre opérateurs sur cette partie de la Manche. A l'inverse P&O opérant sur le détroit a annoncé en mars dernier le licenciement de 800 marins sur les 3 000 employés que compte la compagnie et l'arrêt des navires. L'argument mis en avant par l'opérateur pour justifier ces licenciements secs est la volonté de la compagnie de réduire ses coûts salariaux. La compagnie a ainsi fait appel à des équipages colombiens et des intérimaires censés remplacer les équipages licenciés sans aucun préavis. Face à cette décision ultralibérale, les réactions ont été nombreuses, notamment de la part du gouvernement britannique. Boris Johnson veut ainsi obliger les compagnies qui souhaitent accoster au Royaume-Uni à assurer une rémunération de base des navigants, au niveau du salaire minimum anglais, faute de quoi, les navires sous-payant leurs équipages ne pourraient accoster au Royaume-Uni. Les navires de P&O qui ont été bloqués à quai au moment des licenciements massifs sont toujours inactifs ; les autorités britanniques en charge de la délivrance des autorisations ad hoc de remise en service ayant jugé que deux des quatre navires de P&O sont inaptes à reprendre la mer. La situation reste donc tendue entre le gouvernement britannique et la compagnie anglaise. C'est également sur ce même détroit que la compagnie irlandaise Irish Ferries s'est récemment positionnée, ouvrant ainsi 10 rotations journalières mais destinées presque exclusivement au transport fret marchand. Nouvel opérateur sur cette zone, il entre directement en concurrence avec le trafic ferries de DFDS entre Douvres et Calais ; ce dernier est devenu, faute de concurrence pour le moment, le principal opérateur sur cette zone. P&O, longtemps leader, qui avait procédé au milieu des années 1990 à l'absorption de compagnies plus petites comme ce fut le cas en 1997 de North Sea Ferries se trouve aujourd'hui en difficulté et perd son leadership établi depuis plus de 25 ans dans le détroit. Fort de son nouveau rôle dans le détroit, DFDS a développé une ligne vers le cœur économique et décisionnel anglais via le port de Sherness sur la Tamise, mettant ainsi Calais à 5h de la capitale londonienne. Ces nouveaux positionnements et ces désengagements au niveau du détroit marquent une fois de plus l'essentiel des évolutions du paysage maritime transmanche. Dans les prochains mois, les situations économiques des compagnies fragilisées par deux années de pandémie sur leur segment passagers pourraient entraîner de nouvelles reconfigurations mais pour l'essentiel, le paysage établit depuis une petite dizaine d'années reste stable, un grand opérateur sur l'ensemble de la Manche Ouest et centrale et un opérateur majeur sur le segment restant, de l'est de la Manche au détroit. Le développement des liaisons avec l'Irlande est un des traits majeurs du nouveau paysage transmanche qu'il faudra suivre, les récentes augmentations du coût des transports et de l'énergie pouvant une nouvelle fois rebattre les cartes. D'ores et déjà, alors que les premiers touristes recommencent à fréquenter les lignes, des nouveautés apparaissent pour le court terme.
Carte n°1 : Lignes de ferry 2022 (été)
Auteur : F. Turbout, MRSH Université de Caen Normandie, 2022.
3 – Nouvelle délégation de service et nouvelle forme du transmanche
Le premier des changements attendus concerne la liaison Dieppe - Newhaven. Cette ligne historique ancienne entre les deux rives de la Manche a été gérée depuis le début des années 1980 par de nombreuses compagnies (7 au total) qui ont disparues pour certaines d'entre-elles ou fusionnées. Cette ligne est gérée par un syndicat mixte de promotion de l'activité transmanche qui prolonge sa délégation de services publics pour un nouveau contrat à compter du 1er janvier 2023. Si DFDS Seaway, actuel opérateur sur la ligne, se pose en candidat « attitré », rien n'empêche les autres compagnies de se positionner également et de reprendre l'exploitation de cette liaison. Le second changement est plus novateur et découle des effets collatéraux de la crise sanitaire de la Covid. Durant cette période particulière, le transport maritime a ralenti faute d'échange mais aussi parce qu'il devenait de plus en plus problématique de maintenir les services associés au transport, telle que la manutention. La crise a amené à repenser la chaîne logistique en proposant de nouvelles alternatives. La compagnie Blue Channel Line propose ainsi une ligne entre Calais et Tilbury « all inclusive » uniquement réservée au fret non accompagné. Le dédouanage, la manutention et le transport de la cargaison porte à porte sont assurés par la compagnie elle-même. Cette nouvelle offre de transport augure de nouvelles formes de mobilités et des recompositions profondes de la chaîne logistique de part et d'autre de la Manche.
Après plusieurs mois d'interruption, le trafic passager transmanche reprend. Les opérateurs restent sensiblement les mêmes qu'avant la Covid même si, comme à l’accoutumée, le détroit demeure le lieu de concurrences exacerbées. P&O, jusque là leader sur cette portion de mer, peut paraître profiter d'une situation post pandémie pour justifier une politique de l'emploi délétère et violente, mettant à mal l'image de l'entreprise déjà en souffrance depuis plusieurs années. Les prochaines semaines et la saison estivale qui se profile, concentreront toute l'attention des opérateurs transmanche, l'avenir de certaines compagnies dépendant de leurs résultats estivaux. Haut |