Dans la confrontation entre France et Angleterre, l'affirmation des forces navales destinées à protéger les routes commerciales, les comptoirs et les colonies devait s'adosser à des fortifications côtières et des ports militaires. Trois siècles de concurrence ont été ponctués d’investissements de défense, de retards, d’avances, d’obsessions de tel ou tel puissant sur cette question stratégique essentielle. La forme plus subtile d’attaque qu’est le blocus, avec ses conséquences commerciales, devint un élément majeur de la stratégie navale durant les guerres napoléoniennes (1799-1815), puis les grandes fortifications furent l'effort de tout le XIX^e. Vers 1860, le plus grand programme de constructions de forts jamais lancé fut achevé en deux décennies autour des bases navales de Portsmouth, Chatham, et Plymouth. L’Arsenal de Cherbourg fut achevé et fortifié aussi par Napoléon III, un siècle après les premiers travaux de digue, deux siècles après la bataille de La Hougue qui en soulignait la nécessité. Les technologies guerrières étaient déjà révolutionnées qu’on construisait encore les fortifications d’hier, de nouvelles configurations géopolitiques naissaient que les réflexes d’antagonismes antérieurs jouaient encore.

En 1904, l'Entente cordiale avait mis fin à une longue période de relations contrastées, souvent conflictuelles entre les deux grandes nations européennes installées de chaque côté de la Manche. Près d'un siècle de paix venait de s'écouler après les conflits qui avaient tellement semblé sans fin entre 1689 et 1815 qu'on avait parlé d'une seconde guerre de cent ans, mais les peurs latentes d'invasion avaient persisté et suscité de grands programmes de fortifications. D'invasion, il n'y en eut point et au contraire les liens au travers de la Manche ne cessèrent de croître et se multiplier, sur le plan culturel, politique, et économique. La Manche, longtemps un espace contesté, est depuis devenue un espace partagé.