20002000
 
Evaluation du trafic maritime dans la Manche (2006)
Auteur : Sophie Bahe

La Manche cconstitue un espace maritime unique au monde en raison de particularités géographiques, d'une densité de trafic exceptionnelle notamment en matière de transport de produits dangereux, de la multiplicité des activités qui se partagent l'espace maritime, de la dimension rapidement internationale de toute opération et de littoraux fortement anthropisés. Pour toutes ces raisons, la Manche est devenu, depuis les années 1970, un espace maritime très réglementé.

La circulation maritime dans la Manche

Particularités géographiques

La Manche, mer bordière de l'océan Atlantique s'ouvrant au nord-est sur la mer du Nord, constitue une zone maritime resserrée. Sa largeur oscille entre 180 km dans la partie occidentale et 34 km dans le détroit du Pas de Calais. Sa profondeur ne dépasse pas 120 mètres et se réduit d'Ouest en Est pour n'être, au maximum, que de 65 mètres dans le détroit du Pas de Calais, avec certaines zones n'excédant pas 30 mètres de profondeur. Une telle configuration géographique induit des courants marins parmi les plus violents du monde, courants combinés à de forts marnages (jusqu'à 15 mètres dans la baie du Mont-Saint-Michel). En outre, les conditions météorologiques y sont particulièrement difficiles d'octobre à avril. L'ensemble de ces particularités géographiques sont autant de facteurs qui influent sur les conditions de navigation dans la Manche.

Densité du trafic

La Manche est une zone d'activités maritimes historiquement dense, le plus puissant carrefour maritime du monde (A. Vigarié, 1979). Elle représente, en effet, un lieu de transit obligatoire pour les navires circulant entre l'océan Atlantique et le Northern Range, première façade portuaire du monde qui s'étend de l'Elbe à la Seine, de Hambourg au Havre et Rouen, et dessert toute l'Europe du Nord-Ouest, combinant bassins industriels et bassins de consommation importants.

La densité du trafic maritime  y est sans équivalent au monde, avec près de 20% du trafic mondial. À une circulation de marchandises longitudinale très dense s'ajoutent de très nombreux mouvements transversaux entre les côtes britanniques et françaises, notamment le transport de 70 000 passagers par jour entre le Royaume-Uni et la France. Ainsi, 700 à 800 bateaux (hors pêche et plaisance) passent par jour dans le détroit du Pas de Calais. Le tableau ci-après recense le nombre de navires, par catégories, passant annuellement dans le Dispositif de séparation du trafic (DST) des Casquets. Notons que seuls les navires d'une capacité égale ou supérieure à 300 tonneaux de jauge brute, obligés de déclarer leur passage dans les DST sont pris en compte.

La densité du trafic maritime en Manche en 2006

Agrandir


Nombre de navires traversant le DST des Casquets en 2006 par catégories de navires
Total 70 975
Types de navires* Nombre de navires
Pétroliers 2 844
Gaziers 2 593
Chimiquiers 7 680
Cargo 28 944
Vraquiers 9 444
Porte-conteneurs 14 291
Navires à passagers 3 811
Bateaux de pêche 396
Navires de balisage, sauvetage, police 64
Navires scientifiques 157
Remorqueurs 424
Autres 327

* Ne sont pris en compte que les navires supérieurs à 300 TJB

(Sources : Affaires maritimes, base de données Trafic 2000)
 

Parmi l'ensemble des marchandises transportées, on recense, en 2006, plus de 313 millions de tonnes de produits dangereux. L'International Maritime Dangerous Goods (IMDG) Code, adopté en 1965 par l'Organisation maritime internationale (OMI) et largement amendé depuis pour tenir compte des évolutions de l'industrie, établit une typologie des produits dangereux en neuf classes. Le tableau ci-dessous détaille les quantités de produits dangereux transportées en 2006 dans le DST des Casquets par des navires supérieurs à 300 TJB en fonction de cette classification. Notons que plus de 80 % des produits dangereux transitant dans la Manche sont des hydrocarbures.

Transport maritime de produits dangereux dans la Manche en 2006
Total   313 357 479,41
Classes IMO Types de produits Quantités
(en tonnes)
1 Explosifs 411 537,00
2 Gaz 17 705 595,01
3 Liquides inflammables 260 064 828,22
4 Solides inflammables 7 963 018,59
5 Oxydants et peroxydes organiques 4 159 927,43
6 Matériaux toxiques et substances infectieuses 4 771 379,89
7 Matériaux radioactifs 118 888,75
8 Matériaux corrosifs 8 485 463,88
9 Divers 9 676 840,64
(Sources : Affaires maritimes, base de données Trafic 2000)

Multiplicité des activités en mer

Le trafic de marchandises et de passagers côtoie des activités maritimes de natures diverses, multipliant ainsi les conflits d'usage. La pêche joue, notamment, un grand rôle dans la Manche, à la fois par l'existence de zones de pêche, de nombreux ports de part et d'autre et par le nombre de bateaux de pêche immatriculés (1 000 sur la façade maritime française). Boulogne est d'ailleurs le premier port de pêche européen. Les techniques de pêche employées conjuguent des arts traînant et des arts dormants, ce qui favorise les conflits entre pêcheurs français, belges et hollandais. La Manche est aussi très appréciée des plaisanciers. En 2004, 300 688 bbateaux de plaisance étaient immatriculés dans les régions maritimes de l'espace Manche côté français. En outre, de nombreux câbles sous-marins pavent également l'ensemble de la zone mais il est difficile de les recenser avec précision. Ces câbles nécessitent un entretien régulier d'où des risques de collision supplémentaires. À cela s'ajoute une activité d'extraction de granulats marins, ce qui favorise les conflits avec les pêcheurs. Enfin, des projets d'implantation d'éoliennes en mer sont actuellement à l'étude et pourraient encore accroître l'encombrement de l'espace maritime.

Dimension rapidement internationale de toute opération

En raison de la configuration géographique très resserrée et de la nature des activités maritimes, les conséquences d'un événement de mer prennent rapidement un caractère international dans la Manche. Par conséquent, les relations entre autorités françaises, britanniques et belges sont beaucoup plus étroites que ne le sont habituellement les échanges internationaux sur d'autres façades maritimes. En Manche, les autorités ont, en effet, l'habitude d'échanger nombre d'informations et sont régulièrement amenées à conduire des opérations en commun. En janvier 2007, les opérations d'assistance et de remorquage du porte-conteneurs MSC Napoli illustrent bien cette intense coopération franco-britannique. En effet, le navire a signalé son avarie dans les eaux territoriales françaises à l'entrée Ouest de la Manche, les autorités britanniques ont procédé à l'évacuation de l'équipage avant que le navire ne soit pris en remorque par des remorqueurs français et finalement conduit par ceux-ci en baie de Lyme après décision conjointe des autorités françaises et britanniques d'accueillir le navire côté britannique.

Des littoraux fragiles et fortement anthropisés

Enfin, il convient de prendre en compte la très forte anthropisation des littoraux de part et d'autre de la Manche. Densément urbanisés, ces littoraux sont aussi pourvus d'activités nombreuses et variées. Outre la pêche mentionnée ci-dessus, de nombreuses industries se répartissent tout au long du littoral, notamment des sites Seveso aux abords des grands ports comme Le Havre. On trouve aussi plusieurs centrales nucléaires côté français (Gravelines, Flamanville, La Hague, etc.). La prise en compte de l'interface maritime de ces activités à risque pour les populations ne doit donc pas être négligée en cas d'accidents en mer (risque d'explosion en chaîne, altération des prises ou des rejets d'eau en mer, etc.). Par ailleurs, les rivages de la Manche constituent un espace touristique de plus en plus attractif où les sites naturels remarquables et sensibles sont nombreux. L'économie de l'ensemble des régions riveraines de la Manche est donc largement tributaire de la mer. Par conséquent, tout incident susceptible de perturber le trafic maritime ou d'avoir des conséquences dommageables à terre (une pollution par exemple) pourra avoir des conséquences préjudiciables pour l'ensemble de l'économie de ces régions.

La sécurité du trafic dans la Manche

La densité du trafic maritime dans la Manche a nécessité la mise en place de règles de navigation spécifiques. Dès les années 1960, l'analyse des statistiques d'accidents montrait que les collisions entre navires devenaient une cause préoccupante d'accidents, notamment dans les eaux encombrées (OMI, 1998). Plusieurs rapports préconisèrent alors d'instaurer des règles d'organisation du trafic dans certaines zones au niveau mondial. En juin 1967, le premier Dispositif de séparation du trafic (DST) fut mis en place dans le détroit du Pas de Calais. Le nombre de collisions entre navires suivants des routes opposées chuta alors de façon significative. Cependant, ce dispositif n'était initialement que facultatif. Il fallut attendre 1971 et les collisions successives du Texaco Caribbean avec le Paracas, le Brandenburg et le Niki, à l'origine de la mort de 51 membres d'équipage pour que l'OMI rendit obligatoire le respect des dispositifs de séparation du trafic, en particulier au travers du Règlement pour prévenir les abordages en mer (COLREG).

Selon l'OMI, « l'organisation du trafic maritime a pour but d'améliorer la sécurité de la navigation dans les zones de convergence, dans les zones à forte densité de trafic et dans les zones où la liberté de mouvement des navires est entravée par l'insuffisance de l'espace maritime, par l'existence d'obstructions à la navigation, par une profondeur limitée ou par des conditions météorologiques défavorables » (OMI, 1973). La Manche combine l'ensemble de ces facteurs. Par conséquent, deux autres DST y furent mis en place ultérieurement : le DST des Casquets et le DST d'Ouessant (cf. carte ci-dessous). L'objectif est de séparer les navires qui se déplacent dans des directions opposées afin de réduire les risques d'abordage frontal, simplifier la configuration du trafic dans les zones des convergences, assurer la sécurité du trafic dans les zones d'exploration ou d'exploitation intensive qui sont situées au large des côtes et réduire les risques d'échouement en fournissant des directives spéciales aux navires à fort tirant d'eau, dans les zones où la profondeur de l'eau est incertaine ou critique.

Cette organisation du trafic spécifique en Manche repose sur une gestion concertée entre les autorités maritimes françaises et britanniques. Le trafic est ainsi canalisé au travers d'une voie montante et d'une voie descendante, délimitée par une zone de séparation. Cependant, certains croisements demeurent inévitables, en particulier entre la côte Nord de la Bretagne et la côte Sud du Devon et de la Cornouaille. Les autorités ont mis en place un réseau de surveillance fondé, côté français, sur les CROSS (Centre régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage) et, côté britannique, sur les MRCC (Maritime Rescue Co-ordination Centre). Ce dispositif est complété par une chaîne sémaphorique particulièrement dense (Cf. carte) qui permet aux autorités de suivre précisément les mouvements des navires et de porter assistance en cas de besoin. En 1994, la règle 8-1 du chapitre V de la convention SOLAS (Safety Of Life At Sea) imposa les systèmes de comptes-rendus de navires au passage des DST afin de contribuer à « garantir la sauvegarde de la vie humaine en mer, la sécurité et l'efficacité de la navigation et la protection du milieu marin » (OMI, 1994). En conséquence, depuis 1999, les navires supérieurs à 300 TJB ont obligation de se déclarer au passage d'un DST.

Organisation du trafic maritime dans la Manche

Agrandir


Haut